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Une garnison réduite à de pareilles extrémités pouvait capituler sans honte ; elle tint encore huit jours, et le 29 août fut signée une convention en vertu de laquelle Perpignan se rendrait le 9 septembre, s’il n’était auparavant secouru par au moins deux mille hommes d’infanterie et mille de cavalerie. L’heure fatale sonna sans qu’aucun secours se fût montré. Les Espagnols défilèrent, par la porte de Collioure, devant l’armée française rangée en bataille sous le commandement du duc d’Enghien ; mais ils demandèrent qu’on les dispensât de l’humiliation de passer devant les Catalans, nos auxiliaires, et le prince fit placer ceux-ci en arrière de nos lignes. Les officiers saluaient les drapeaux de France en tournant la pointe de leurs piques vers la terre. Quand le marquis de Flores, gouverneur de la ville, sortit, il descendit de cheval, mit un genou en terre, fit, les larmes aux yeux, un profond salut aux armes d’Espagne, qui étaient en relief sur les portes, et une croix sur la ville, où il prévoyait qu’aucun Espagnol ne rentrerait plus qu’en hôte et en ami. Toute la Catalogne était accourue à ce spectacle. Les Français comblèrent d’égards leurs braves ennemis et le duc d’Enghien traita magnifiquement les principaux officiers ; mais il ne fut pas moins prudent que généreux. À peine les derniers soldats espagnols sortaient-ils de Perpignan, qu’il y fit entrer six mille hommes avec des vivres pour un an, et ce fut au milieu d’eux que l’archevêque de Narbonne, assisté des évêques de Nîmes et d’Albi, entonnait une heure après un Te Deum dans la cathédrale[1].

M. de Loursillière, chargé d’inventorier le matériel trouvé dans la place, compta, indépendamment des armes portatives, soixante-six pièces de canon dans la citadelle et trente-quatre dans la ville ; les premières étaient de treize et les secondes de onze calibres différens ; les boulets, de toutes sortes de dimensions, semblaient réunis au hasard ; il y en avait même la pierre et de marbre[2]. Cet état de l’artillerie explique l’excessive longueur des siéges de cette époque : celle des assiégeans valait, en raison de la difficulté des transports, encore moins que celle des assiégés, et la famine était à peu près la seule arme à laquelle ne pût pas résister une place investie. Tant qu’elle était ravitaillée ; on restait à se battre alentour ; les guerres s’éternisaient et sillonnaient les pays qui en étaient le théâtre de dévastations si profondes, que des siècles suffisaient à peine à les réparer.

Le cardinal, vaincu par la maladie, avait quitté le camp de Perpignan dans les premiers jours de juillet ; mais, habitué à ne rien laisser au caprice de la fortune de ce que lui peut ôter la prudence humaine, il ne cessait sur sa route d’assurer, par ses ordres, le succès et les conséquences

  1. Lettre de Fra Raymond Poisson, prieur de Saint-Dominique de Narbonne, au cardinal Mazarin. (Archives des affaires étrangères.)
  2. Archives des affaires étrangères.