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L’HISTOIRE DE LA CARICATURE.

C’était au commencement de l’année 1789, et la plus grande révolution des temps modernes allait éclater sur le monde. Le mouvement de 89 éveilla d’abord en Angleterre de nombreuses et vives sympathies ; la presse et l’opinion populaire l’accueillirent avec enthousiasme ; on jouait sur les théâtres la prise de la Bastille ; on y citait des prologues en vers dans lesquels nous lisons, par exemple : « Oui, l’esprit d’Albion a enfin inspiré et réchauffé les cœurs, et la France est enfin dotée de la liberté de l’Angleterre… Hurrah pour la main bénie qui la première a ouvert les horribles cachots de la Bastille et en a délivré les pâles habitans !… » Tels furent les sentimens avec lesquels les débuts de la révolution française furent généralement reçus en Angleterre ; on croyait fermement que la France allait se donner un gouvernement constitutionnel et libéral. Dans les régions du pouvoir, on gardait plus de réserve ; la couronne, au mois de janvier 1790, disait simplement : « Je continue à recevoir l’assurance des bonnes dispositions de toutes les puissances étrangères. » On voit que la formule a peu varié depuis ce temps-là. Bientôt cependant la marche de la révolution commença à effrayer les Anglais, et le parti whig, jusque-là le défenseur de la France, se divisa. Ce fut à cette occasion que s’éleva entre Fox et Burke cette discussion célèbre qui est dans toutes les mémoires, et qui sépara pour jamais les deux anciens amis. Burke devint depuis lors le plus éloquent ennemi de la révolution.

Ce n’était pas sans raison. L’agitation révolutionnaire prenait, en Angleterre même, un caractère alarmant, et elle était secondée par l’organisation des clubs. Le plus ancien de tous s’appelait la Société de la révolution, et célébrait chaque année, le 4 novembre, la révolution de 1688. C’était là que prêchait le docteur Price, un vieux dissident qui avait déjà accueilli avec enthousiasme la révolution d’Amérique. Le 4 novembre 1789, le club vota une adresse de félicitations au peuple français, à la suite de laquelle il s’établit une correspondance régulière entre les propagandistes des deux pays. Bientôt il y eut à Londres le Club du 14 juillet en l’honneur de la prise de la Bastille, la Société correspondante, et plusieurs autres dans lesquelles, avec le docteur Price, régnaient Priestley, un autre prédicateur dissident, et Thomas Paine. Alors le gouvernement eut recours à un moyen presque toujours infaillible en Angleterre ; il fit appel à l’orthodoxie de la nation. Les dissidens protestans, aussi bien que les catholiques, devinrent l’objet des violences populaires ; ils furent mis en chansons et en caricatures ; Price, Paine et Priestley furent représentés soufflant du haut de la chaire le poison de l’athéisme, de l’arianisme, du déisme et du socinianisme ; on voyait Price au milieu, terminant son sermon par cette formule de la liturgie anglicane : « Et maintenant prions avec ferveur pour l’abolition de toute monarchie, etc., et pour que le désordre et l’anarchie puissent, par nos pieux efforts, régner dans tout l’univers. »