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À cette époque, Burke publia son célèbre livre : Réflexions sur la Révolution française. L’effet en fut prodigieux, et ne peut se comparer qu’à celui que produisit plus tard le livre de M. de Chateaubriand : Bonaparte et les Bourbons. Vainement Paine et Priestley essayèrent d’y répondre ; le vent populaire était contre la révolution : Gillray représentait le roi tenu sur l’échafaud par Sheridan, Fox remplissant les fonctions d’exécuteur, et Priestley exhortant la victime à la soumission. Priestley administrait une chapelle à Birmingham ; ses amis voulurent célébrer avec lui le deuxième anniversaire de la prise de la Bastille. Les « réactionnaires » de la ville prirent d’assaut la taverne où les démocrates s’étaient assemblés ; puis, n’ayant pas trouvé Priestley, ils allèrent brûler de fond en comble sa maison et sa chapelle. Pendant plusieurs jours, ils restèrent ainsi les maîtres de la ville, et dans beaucoup d’autres villes il y eut des scènes du même genre.

Ces démonstrations de royalisme n’empêchaient cependant pas la satire populaire de se porter aussi sur le roi. Gillray, bien qu’il employât presque toujours son inépuisable talent en faveur de la cause monarchique, avait des motifs personnels d’antipathie contre George III, et ne l’épargnait pas dans ses caricatures. Il paraît que le roi avait un jour traité légèrement certains de ses dessins, et Gillray l’avait alors représenté examinant une gravure du portrait de Cromwell par Cooper. La figure du roi exprime un curieux mélange d’étonnement et d’alarme à la vue des traits durs du grand républicain, dont le nom était alors dans toutes les bouches. L’avarice bien connue du roi et de la reine était aussi pour Gillray un sujet des plus féconds. Le duc d’York venait d’épouser la fille du roi de Prusse, qui passait pour riche ; dans une scène intitulée la Présentation, on voit le prince présenter sa femme au roi, qui ouvre les yeux et les mains, et à la reine, qui tend son tablier pour recevoir de l’argent. Ailleurs, on voyait le roi et la reine allant au marché, ou bien le roi faisant rôtir ses muffins et la reine se faisant frire des éperlans, ou le royal couple exhortant les princesses à prendre le thé sans sucre, le goûtant et le déclarant excellent.

Le gouvernement anglais arrêta les attaques de la publicité par des lois de répression qui portaient sur la presse et surtout sur les clubs. À l’extérieur, il se maintenait dans une neutralité apparente, et, quand le gouvernement français l’invitait à employer ses bons offices pour empêcher la coalition qui se formait contre lui, le ministre des affaires étrangères, lord Grenville, répondait que son pays ne voulait pas se mêler des affaires du continent. Après le 10 août, l’Angleterre rappela son ambassadeur ; les massacres de septembre envoyèrent de l’autre côté du détroit un flot d’émigrés et de réfugiés. La convention française accepta deux délégués du peuple anglais, Priestley et Paine ; Paine seul s’y rendit. Le 19 novembre, la convention vota par acclamation le fameux décret ainsi conçu : « Au nom de la nation française,