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seulement qu’on en peut juger la valeur. M. Fromentin a saisi et habilement rendu ce caractère. Il illumine ses ombres et par là rehausse la gamme de sa couleur d’une façon extraordinaire. Après avoir vu la smala de Si-Hamed-el-Hadj au repos, nous la retrouvons au de l’Oued-Biraz. Hommes, femmes, enfans, bétail, bêtes de somme, se pressent dans le ravin, formé par les bords escarpés du torrent ; toute la tribu avance pêle-mêle dans l’eau jusqu’à mi-jambe, avec un désordre, un entrain remplis de grace et de vérité. Les figurines de M. Fromentin ne sont nullement dessinées, mais le mouvement en est toujours très finement saisi et indiqué. Les Barraques du faubourg Bab-a-Zoun ne sont point inférieures à ces deux premiers tableaux, non plus que cette Rue de Constantine dont les toits resserrés projettent de grandes ombres sur le plâtre éblouissant des murailles et entretiennent un demi-jour mystérieux dans les boutiques. Je fais mon compliment très sincère à M. Fromentin, tout en lui souhaitant de ne point se laisser étourdir par le bruit qui ne manquera pas de se faire autour de son succès.

Même avis, en passant, à M. Chaplin. Il y a quelque temps, on vit paraître une eau-forte des Bergers espagnols de M. Adolphe Leleux, dans laquelle l’artiste avait très vivement rendu la naïve rudesse de l’original. Cet artiste était M. Chaplin. M. Chaplin a continué à graver d’autres sujets d’après M. Leleux. Il s’est dit ensuite, je suppose, que puisqu’il imitait si bien M. Leleux sur le cuivre, il l’imiterait également sur la toile. Le Soir dans les Bruyères, le Montagnard du Puy-de-Dôme, le Souvenir d’Auvergne, sont en effet dans un goût de couleur analogue, mais avec bien moins de finesse et de distinction. Ce sont des tons francs et vigoureux juxtaposés, sans forme arrêtée et sans modelé. Ces tableaux ne ressemblent pas mal à une marqueterie de briques. M. Chaplin a encore beaucoup à apprendre, la perspective, entre autres choses, car on ne comprend pas comment ses bonnes femmes d’Auvergne ne roulent pas en bas de la colline sur laquelle il les a posées.

Ainsi que M. Chaplin, MM. Besson, Fontallard, Voillemot, Longuet, Lessore, spéculent sur les bénéfices du hasard, qui les sert quelquefois mieux qu’ils ne le méritent. M. Besson montre, ce que chacun sait, quelle distance il y a entre l’esquisse et le tableau. Certes, je ne croix pas qu’on puisse rien voir d’aussi chaud, d’aussi harmonieux que le Retour des vendangeurs au soleil couchant ; on dirait une vieille toile vénitienne dorée par le temps. Le Prélude est aussi un morceau largement préparé. Par malheur, si M. Besson entreprend de pousser plus avant, cette fleur, ce duvet de pêche, s’envolent soudain, comme la poussière des ailes d’un papillon, et pourtant M. Besson ne pousse pas loin. Son tableau de Courtisanes et Seigneurs vénitiens n’atteint pas le fini de M. Diaz, qu’il a la prétention de rappeler. Le fini de M. Diaz ! Je