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dans l’herbe jusqu’aux cornes, les bords de rivière, les bas-fonds inondés, les terrains marécageux fourrés de joncs et de roseaux où les grenouilles saluent de leurs acclamations étourdissant la venue de gros nuages noirs chargés de pluie, voilà l’humide domaine de M. Flers. M. Flers me paraît mettre beaucoup d’huile dans sa couleur, ce qui lui donne un moelleux particulier et très approprié aux effets qu’il se propose. M. Flers n’est pas prosaïque comme M. Troyon ; il dispose, dans ses paysages, de petites chaumières au toit écrasé, semblables de loin à des meules de foin, et qui ont une grace champêtre du meilleur goût.

Les paysages abondent, et en général la moyenne est au-dessus du médiocre. Il serait long de citer ceux qui s’y distinguent, bien que plusieurs d’entre les maîtres manquent à l’exposition. Nous n’avons rien de M. Cabat, pas un arbre de M. Dupré. Où donc est M. Calame, où M. Achard, le peintre des belles montagnes et des vallées ombreuses du Dauphiné ? Mais M. Pron médite de devenir à son tour un maître ; il nous conduit sur un Coteau en Brie qui est bien le plus délicieux coteau qu’on puisse jamais rêver pour y finir ses jours. Les petits bouquets d’arbres et les rochers semés sur la pente verdoyante sont rendus avec une précision de couleur et une finesse de dessin remarquables. Une Vue prise aux environs de Paris de M. Lefortier, quoique un peu mignarde et léchée, ne manque pas de calme et de douceur. C’est le caractère bien saisi des coteaux onduleux de Montmorency et d’Enghien. Le Chemin couvert de Touques en Normandie par M. Toudouze, une Vue de la Forêt de Fontainebleau de M. Hanoteau, une Lande en Basse-Bretagne par M. Wyld, se recommandent aussi par une gracieuse simplicité et un choix intelligent des sites et des lignes. M. Daubigny a fait un Soleil couché qui respire tout le calme et toute la fraîcheur du soir. C’est doux et vrai. Ce petit cadre contient à lui seul plus de nature que les compositions taillées dans le granit de M. Desgoffe. M. Desgoffe cultive avec persistance le paysage dit de style. C’est de sa part une malheureuse obstination. Il y dépense en pure perte dix fois plus de talent que n’en ont peut-être une foule d’artistes qui, en face de la nature, se laissent aller ingénument à leur impression. Plusieurs tableaux de M. Desgoffe, s’ils étaient gravés, feraient probablement des dessins estimables, entre autres ses Environs d’Hyères ; mais ne pourrait-il nous dispenser de sa couleur, et surtout de ces petits bonshommes nus jouant au palet et de ces nymphes en chlamyde que personne n’a jamais rencontrées dans aucun chemin creux de Provence ? M. Bellel tente de faire sortir le paysage du style de ce rococo archéologique. Ses quatre dessins sont extrêmement remarquables ; la composition en est distinguée, et les lignes d’un choix exquis. Ce sont de vrais Poussins. Malheureusement ses deux tableaux semblent prouver