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que la couleur est chose défendue à ceux qui se livrent à ce genre de composition.

À voir l’extension plus grande que prend chaque année le paysage, on dirait qu’un besoin de sensations fraîches, une sorte de soif de jeunesse porte la génération actuelle à chercher un refuge dans le calme et dans la paix de la nature. Toute œuvre imprégnée d’un sentiment vrai des harmonies rurales, et qui nous apporte en quelque sorte l’odeur des champs, est sûre d’être la bienvenue. C’est ce qui arrive à l’idylle de Mlle Rosa Bonheur. L’Attelage nivernais représente une scène de la labourage. Deux charrues, attelées chacune de trois paires de bœufs puissans, fendent un terrain dont les sillons, fraîchement ouverts, forment le premier plan. Dans le fond, des pâtis inclinés et parsemés de bouquets d’arbres ferment l’horizon. Rien de plus simple que ce motif, qui tire toute sa grace de la fidélité des détails. Mlle Bonheur peint les animaux d’une façon distinguée, et il faut la louer d’avoir su choisir un sujet qui lui permettait de déployer ses moyens. Ses bœufs sont très habilement dessinés ; ils se groupent bien, tirent avec ensemble et vigoureusement. On pourrait bien leur reprocher un soin trop exquis de leur personne, mais ce sont peut-être des bœufs de ferme-modèle, mieux étrillés que des bœufs du commun. L’aspect des champs où les a placés Mlle Rosa Bonheur confirme cette opinion. Les prairies du fond sont si bien tenues, les arbres si bien taillés ! il n’est pas jusqu’aux mottes de terre qui n’aient un aspect correct et élégant. M Bonheur doit certainement avoir lu le prologue d’un petit roman publié il n’y a pas long-temps par un éloquent écrivain, et où se trouve dépeinte avec une rare magie de stylo une scène absolument semblable à celle qu’elle a choisie. Il est regrettable qu’elle ne s’en soit pas plus complètement inspirée, qu’elle ne se soit pas pénétrée de ce parfum de rusticité, la seule chose, à vrai dire, qui manque à son tableau. Je suis fâché, pour moi, de ne pas retrouver là ces paires de bœufs fraîchement liés de la Mare au Diable, aux têtes courtes et frisées, aux gros yeux farouches, frémissant sous la main de l’enfant qui court armé d’une longue gaule dans le sillon d’où s’exhale une vapeur légère. Les sillons de M Rosa Bonheur ne fument pas ; ils sont d’un brun bien tendre, et à la place de l’enfant à la chevelure ébouriffée et couvert d’une peau d’agneau, elle met un valet de charrue insignifiant. Décidément la poésie fait tort à la peinture. Cependant, malgré la redoutable concurrence de ses voisins du Berry, cet Attelage nivernais n’en est pas moins un excellent tableau, et les bœufs de Mlle Bonheur n’ont pas leurs pareils à l’exposition. Je ne leur ferai pas l’injure de les comparer a cette bonne bête de vache de M. Herment, qui se laisse manger par des loups avec une si tranquille patience. M. Coignard a aussi des succès dans l’élève des bêtes à cornes ; ses bœufs et ses vaches sont d’une forte