Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

verre électrisé en contact avec l’un de ces fils, la balle de l’électromètre qui y correspondait était repoussée, et ce mouvement désignait la lettre de l’alphabet que l’on voulait indiquer d’une station à l’autre.

Lesage était en correspondance suivie avec les savans les plus distingués de l’Europe, et particulièrement avec d’Alembert. C’est ce dernier, sans doute, qui lui suggéra l’idée de faire hommage de sa découverte au grand Frédéric, qui aurait aisément fait la fortune de l’invention. Lesage se proposait, en effet, d’offrir sa découverte au roi de Prusse ; il avait même préparé la lettre qui devait accompagner l’envoi de ses instrumens. Cette lettre était ainsi conçue : « Ma petite fortune est non-seulement suffisante à tous mes besoins personnels, mais elle suffit même à tous mes goûts excepté à un seul, celui de fournir aux besoins et aux goûts des autres hommes. Ce désir-là, tous les monarques du monde réunis ne pourraient me mettre en état de le satisfaire pleinement. Ce n’est donc point au patron qui peut donner beaucoup que je prends la liberté d’adresser la découverte suivante, mais au patron qui peut en faire beaucoup d’usage. » Frédéric se trouvait à cette époque au milieu des embarras de la guerre de sept ans. Lesage abandonna son projet, et il fit sagement.

Cependant l’idée de la télégraphie électrique avait déjà si bien pénétré dans les esprits, qu’on la trouve, quelques années plus tard, réalisée à la fois en France, en Allemagne et en Espagne. En 1787, un physicien, nommé Lomond, avait construit à Paris une petite machine à signaux, fondée sur les attractions et les répulsions des corps électrisés. C’est ce que nous apprend Arthur Young dans son Voyage en France. « M. Lomond, dit-il, a fait une découverte remarquable dans l’électricité. Vous écrivez deux ou trois mots sur du papier, il les prend avec lui dans une chambre et tourne une machine dans un étui cylindrique au haut duquel est un électromètre avec une jolie petite balle de moelle de plume ; un fil d’archal est joint à un pareil cylindre place dans un appartement éloigné, et sa femme, en remarquant les mouvemens de la balle qui correspond, écrit les mots qu’ils indiquent ; d’où il paraît qu’il a formé un alphabet du mouvement. Comme la longueur du fil d’archal ne fait aucune différence sur l’effet, on pourrait entretenir une correspondance de fort loin, par exemple, avec une ville assiégée, ou pour des objets beaucoup plus dignes d’attention ou mille fois plus innocens : entre deux amans à qui l’on défendrait des liaisons plus intimes. Quel que soit l’usage qu’on en pourra faire, la découverte est admirable. »

En Allemagne, Reiser proposa en 1794 d’éclairer à distance, au moyen d’une décharge électrique, les diverses lettres de l’alphabet, que l’on aurait découpées d’avance sur des carreaux de verre recouverts de bandes d’étain. L’étincelle électrique devait se transmettre par vingt-quatre fils correspondant aux vingt-quatre lettres ; on aurait isolé les fils en les enfermant sur tout leur parcours dans des tubes de verre.

En Espagne vers 1787, Bétancourt essaya d’appliquer l’électricité à la production des signaux, en se servant de bouteilles de Leyde dont il faisait passer la décharge dans des fils allant de Madrid à Aranjuez. Nous trouvons, quelques années plus tard, la télégraphie électrique beaucoup plus avancée dans le même pays. En 1796, François Salva établit à Madrid un télégraphe électrique. Salva était un médecin catalan qui s’était acquis dans la Péninsule une grande réputation par le courage et la persévérance qu’il avait montrés comme propagateur