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le secret des dépêches ne serait pas suffisamment assuré. Pour réunir toutes les garanties nécessaires, il suffirait de prendre, pour le vocabulaire, une clé de convention habituelle, ainsi qu’on le fait pour les messages diplomatiques. Il faut bien remarquer d’ailleurs que cette question du secret des dépêches si grave lorsqu’il s’agit de la télégraphie aérienne, n’a qu’une très faible importance dans la télégraphie électrique. Le télégraphe aérien étale ses signaux à tous les yeux, il les déploie librement à la face du public, dont il semble provoquer sans cesse et irriter la curiosité. Au contraire, avec le télégraphe électrique, rien ne transpire au dehors ; non-seulement personne ne peut observer les signaux au passage, mais même aucun indice extérieur ne trahit le moment où la correspondance est en action. Toute surprise étrangère est donc impossible et l’on n’a à se prémunir que contre l’indiscrétion de quelques employés. Le changement fréquent des clés du vocabulaire suffit et bien au-delà pour remplir cette condition. Ainsi la question du secret des dépêches, question grave quand on fait usage du télégraphe de Chappe, n’est qu’infiniment secondaire avec les appareils électriques.

En résumé, nous croyons pouvoir conclure avec assurance que le système de télégraphie électrique aujourd’hui usité en France ne saurait être plus long-temps conservé. Des intérêts de tout genre en prescrivent l’abandon. En voulant concilier deux systèmes incompatibles, la télégraphie aérienne et la télégraphie électrique, on s’est engagé dans une voie fausse. Les temps de la télégraphie aérienne sont accomplis. Quelque merveilleux que soit en lui-même l’utile instrument que nous devons aux frères Chappe, quelle que soit l’étendue des services qu’il a rendus jusqu’à ce jour aux sociétés modernes, le moment est venu pour le télégraphe aérien de faire place à un rival contre lequel il ne saurait lutter. Autour de nous, d’ailleurs, tout annonce cette déchéance inévitable. En Angleterre, le télégraphe aérien est à peu près abandonné. Dans les états de l’Union américaine, la télégraphie électrique étend chaque jour les fils de son admirable réseau. L’Allemagne a été des premières à accueillir l’invention nouvelle et dans moins de deux mois Vienne et Berlin seront rattachés l’un à l’autre par un lien électrique. La Belgique, la Russie elle-même, commencent à participer aux avantages de la découverte de Morse. En France seulement, la télégraphie électrique a eu de moins heureux débuts. Trois causes retardent chez nous le développement de cette télégraphie : l’absence de lignes étendues de chemins de fer, les dépenses de premier établissement, les préjugés qui règnent encore dans notre pays sur l’emploi de l’électricité. De ces trois obstacles que rencontre en France la télégraphie électrique, le premier seul est sérieux.

Pour le nombre et l’étendue des lignes de fer, la France marche en arrière de toutes les grandes nations de l’Europe, et on ne peut guère espérer qu’elle sorte bientôt de cette situation d’infériorité. Or, la télégraphie électrique ne peut fonctionner dans toute sa puissance que secondée par un vaste système de voies de fer. On a tout récemment découvert, il est vrai, un moyen nouveau d’isoler au sein de la terre les fils conducteurs des télégraphes, et on prétend que ce moyen permettrait de se passer à l’avenir du secours des voies ferrées. C’est une assertion qui a grand besoin d’être sanctionnée par l’expérience, et en tout cas, pour la certitude, pour l’intégrité des communications électriques,