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SACS ET PARCHEMINS.

sous une ondée du ciel ; j’ai plutôt à vous remercier de l’empressement que vous avez mis à venir au-devant de moi.

— Monsieur, dit Laure, permettez qu’à mon tour je vous remercie des jolies fleurs que vous m’avez envoyées. Je les ai reçues comme un gage de la bienveillance que nous espérons rencontrer dans ce beau pays.

Aux premiers mots sortis de la bouche de Laure, le vicomte avait tressailli comme s’il eût reçu dans la poitrine la décharge d’une pile de Volta. Il se tourna brusquement vers la jeune fille qu’il avait à peine regardée jusque-là, s’accouda sur le bras du fauteuil dans lequel il était assis, et tomba devant elle dans une contemplation silencieuse : on eût dit un pèlerin au pied de la madone. Laure se troubla et baissa les yeux ; M. Levrault ne savait que penser.

— C’est étrange ! dit enfin le vicomte, promenant sa main sur son front comme un homme en état de somnambulisme.

Puis, rassemblant ses esprits et reprenant possession de lui-même, il ressaisit le fil de l’entretien, sans avoir l’air de remarquer le trouble de Laure et l’étonnement de son père, avec autant d’aisance que s’il n’eût pas été dans le secret de ce qui venait de se passer.

— Je suis fier, mademoiselle, d’avoir été le premier à vous rendre, sur cette terre de Bretagne, la foi et l’hommage que tout gentilhomme doit à la beauté. En accourant au-devant de vous, monsieur, je n’ai fait que mon devoir, et jamais devoir ne fut plus doux, plus facile à remplir. Mon notaire m’a plus d’une fois entretenu de vos travaux, de votre richesse, qui ne serait rien à mes yeux, si elle n’était le fruit de vos œuvres, le prix de votre intelligence. En me confiant le soin de vous faire les honneurs de cette contrée, Jolibois s’est acquis des droits sacrés à ma gratitude.

— Et à la mienne aussi, dit M. Levrault. Quoique nous soyons habitués, nous autres grands industriels, à nous voir bien reçus partout, je dois avouer, monsieur le vicomte, que j’étais loin de m’attendre à tant de courtoisie.

— Comment donc cela, monsieur ? S’il est encore par-ci par-là quelques marquis de Carabas, entichés de leurs titres, refusant de marcher avec le siècle et s’obstinant à s’enterrer vivans dans le passé, nous sommes les premiers à nous railler de leurs travers. La noblesse n’est plus cette phalange impénétrable qui souleva contre elle tant d’inimitiés acharnées, trop souvent légitimes, il faut le reconnaître. Elle ouvre ses rangs à toutes les gloires, à tous les talens, à toutes les supériorités. C’est vous dire, monsieur, qu’elle est prête à vous accueillir.

— Ainsi, monsieur le vicomte, vous voudrez bien me donner une liste des châteaux où nous devrons nous présenter ?

— Et, ajouta Laure, diriger nos excursions dans ce pays que l’on dit charmant ?