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semblât rétablie par la défaite des insurgés, rien n’était résolu. Le dénoûment des affaires magyares et slaves restait indécis, et de ces incertitudes devait sortir une grande lutte dans laquelle la Pologne militante allait se jeter avec un peu trop d’empressement et de confiance. Les opinions diverses qui avaient jusqu’alors divisé l’émigration et le pays se revoyaient en présence[1]. — D’un côté se trouvaient les conservateurs qui avaient pris pour règle dès l’origine le développement par voie légale des institutions nouvelles et l’union fraternelle avec les Tchèques et les Illyriens. Dans leurs souhaits, l’idée constitutionnelle et l’idée de race devaient marcher de front : loin de s’exclure, elles offraient, l’avantage d’assurer à la Pologne l’alliance des Slaves autrichiens et de lui permettre de s’imposer ainsi au gouvernement sans fournir de prétexte à la réaction. De l’autre côté se plaçaient les radicaux, qui trouvant l’alliance avec les Slaves gênante parce qu’elle était conservatrice, et le système conservateur détestable parce qu’il était prudent, repoussaient les moyens légaux et le slavisme dans l’espoir d’arriver plus promptement au but national : l’indépendance par l’insurrection. — Au milieu se tenaient les généraux, les officiers, les soldats impatiens, qui se désolaient de rester inactifs, et qui, brusquant les opinions, étaient portés aux résolutions extrêmes par simple inclination pour la guerre. Chacun est patriote à sa façon ; le patriotisme du soldat n’est pas toujours celui de l’homme d’état, et le malheur veut que bien des Polonais soient soldats en ce point. Les généraux désiraient, donc la guerre ; ils la désiraient principalement par des considérations stratégiques. Quand retrouverait-on, disaient-ils, des conjonctures plus opportunes pour insurger la Pologne ? Par sa frontière septentrionale, la Hongrie est liée à la Gallicie ; la Gallicie, avec ses forêts et ses montagnes, présente tous les avantages du terrain qu’il est permis à la Pologne d’espérer. Que la Hongrie triomphe : une irruption en Gallicie soulève cette province et y allume le foyer d’où l’incendie peut ensuite se répandre dans la Pologne russe : Ainsi raisonnaient, les généraux sans s’inquiéter suffisamment des plans que les politiques avaient tracés à grand’peine pour arriver par la légalité au triomphe du slavisme, et par le slavisme au triomphe de la nationalité.

Sur le théâtre de la guerre de Hongrie, chaque parti, on le voit, gardait sa bannière, ses prétentions distinctes. On retrouvait là les mêmes divisions qu’à Posen, en Gallicie et dans l’émigration. Ces divisions se reproduisaient parmi les généraux eux-mêmes. Si Bem, par exemple, penchait du côté du radicalisme, Dembinski inclinait du côté des diplomates ; aussi était-il plus suspect au magyarisme, et à plusieurs

  1. Voyez, dans les livraisons du 15 août et du 15 septembre, les Polonais dans la révolution européenne, dont cette étude est le complément.