Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/1038

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saisir mille occasions de s’illustrer sans avoir besoin de beaucoup d’hommes. Aucune tâche ne convenait mieux au général Bem que la direction de la guerre de Transylvanie. Pour théâtre, un pays de montagnes et de forêts admirablement propre aux surprises ; pour soldats, avec les Polonais et les hussards qui le suivaient, les Sicules ou Szeklers, tribu magyare colonisée sur la frontière, qui l’attendaient pour le rejoindre ; un sol propre à tous les piéges et des soldats à demi barbares : c’était la fortune qui semblait avoir elle-même ménagé la rencontre et choisi tout à dessein, le territoire et les hommes pont le général Bem.

Aussi bien, la vie entière de ce personnage désormais historique n’est-elle qu’une suite de coups de tête et de coups de fortune ; Entré au service à l’époque du duché de Varsovie, colonel au commencement de la guerre de 1831, il gagne son grade de général à Ostrolenka, en sauvant l’armée polonaise de la poursuite des Russes par une manœuvre d’artillerie aussi audacieuse que peu usitée dans cette arme. Il donne ainsi la mesure de son genre de capacité ; mais la guerre devait trop peu durer pour qu’il eût le temps d’y déployer son caractère. Jeté en exil avec ses courageux compagnons d’armes, il est un de ceux à qui l’existence pacifique de l’émigration pèse le plus. Il cherche les aventures militaires et forme le dessein de prendre du service en Portugal avec quelques compatriotes qu’il entraîne à sa suite. Un fanatique, beaucoup trop vivement convaincu que le devoir des Polonais n’est point d’aller se faire tuer pour une cause si étrangère la Pologne, l’accuse d’être un agent russe chargé d’égarer l’action des émigrés. Prêt à partir pour le Portugal, Bem reçoit de ce fou à bout portant un coup de pistolet dont la balle glisse, sans l’atteindre, sur la dernière pièce d’argent qui lui reste. Sauvé ainsi comme par miracle. Bem se rend en Portugal, où il ne rencontre point la haute fortune et les grandes occasions qu’il avait rêvées. Il revient à Paris, se lance et se perd dans les entreprises industrielles, puis se reporte vers son premier métier d’artilleur par des études sur les fusées à la Congrève, tout en rêvant à une méthode de mnémonique ; au demeurant, toujours préoccupé de plans d’insurrection et de batailles pour La Pologne. Il avait le malheur d’envisager les choses par le côté facile avec les yeux de l’imagination, ne doutant jamais ni des autres ni de lui-même. Au moment des massacres de la Gallicie, en 1846, il ne demandait que la bonne volonté de la France pour mettre toute la Pologne sur pied. Après février, il se fait fort, pour peu qu’on l’aide, de lever une armée de cinq cent mille hommes au service des idées du jour. Au mois de juillet suivant, il se rend en Gallicie, et bientôt passe à Vienne, où, avec l’ardeur d’un sang échauffé par une longue attente, il renouvelle ses preuves de bravoure dans la guerre