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des barricades. Puis là, invoquant les génies familiers qu’on l’ont toujours tiré des mauvais pas, la témérité et le hasard, il traverse l’armée impériale et la frontière hongroise sous le déguisement d’un cocher, et arrive ainsi au milieu des Magyars. À peine est-il entré à Pesth, qu’accusé de nouveau par un compatriote de compromettre son pays au profit des Russes, il est l’objet d’une nouvelle tentative d’homicide, et reçoit au front l’égratignure d’une balle. Mais enfin le voici à cheval sur le chemin de la Transylvanie, ne sachant trop comment il s’y prendra pour vaincre à la fois, le corps d’armée du général Püchner et les insurgés valaques ; plein de confiance cependant et tout animé déjà comme du pressentiment des succès qui lui sont réservés.

La Transylvanie entière, moins le pays des Szeklers, ardemment attachés à la race magyare, est aux mains du général autrichien Püchner et des chefs valaques, qui se sont spontanément placés sous ses ordres. Ce n’est qu’en brisant ou en affaiblissant cette union que Bem peut s’établir en Transylvanie. Il commence par porter le poids principal de son action contre le corps, d’ailleurs très faible, du général Püchner, en indiquant aux Valaques qu’il vient, non pour leur faire la guerre, mais pour chasser les Autrichiens. Il frappe en effet de grands coups, et dès les premiers engagemens, montre d’une part, à ses soldats, qu’ils ont un chef sur lequel ils peuvent compter, et de l’autre, aux impériaux, qu’ils auront désormais un ennemi redoutable. Une crainte soudaine succède parmi eux à la sécurité trop grande dans laquelle ils s’étaient endormis. Le gouvernement autrichiens se croyait tellement sûr de la victoire sur ce point, qu’il avait refusé d’armer, les populations valaques, ne voulant pas, sans une nécessité urgente, leur donner le sentiment de leur force. Les Valaques s’étaient soulevés d’instinct dans l’espoir de conserver une Transylvanie indépendante des Magyar ; mais, dès, l’instant où l’on avait cru à Vienne l’insurrection magyare vaincue, l’on s’était étudié à détourner les Valaques de toute pensée belliqueuse : on craignait de les rendre inquiétans pour l’Autriche elle-même en leur accordant les armes qu’ils sollicitaient pour la défendre. Les Valaques étaient organisés par préfectures, et formaient des légions, des décuries, des centuries. Dans cette association, il y avait beaucoup d’ensemble et un sentiment vif de la solidarité de chacun des membres. Ce bon accord n’avait fait que redoubler les craintes de l’Autriche, et, sur cent vingt mille Valaques de bonne volonté qui étaient enrôlés, il n’y en avait pas quinze mille qui fussent armés de fusils. Bem avait donc beau jeu : l’Autriche était prise dans son propre piégé. Le général polonais ne perdit pas de temps, il se précipita au milieu des Valaques ainsi délaissés, pour tomber sur le corps de Pûchner, qui, en un mois, fut rejeté du nord au sud sur la vieille ville saxonne d’Hermanstadt. Le 21 janvier 1849, il se présenta devant cette ville