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son bataillon, le capitaine Soumain en tête, tout meurtri encore de la chute d’un bœuf que les défenseurs de la montagne avaient jeté sur lui, dans un moment critique, à défaut de roche. La fusillade devenait plus vive à l’est, la charge battait toujours, et le général se disposait à s’y rendre, lorsque les soldats de garde aux avant-postes lui amenèrent un cavalier nègre, l’un des réguliers de Sidi-Embarek, qui nous apportait la nouvelle de la prise de la smala par M. le duc d’Aumale. Il y avait deux heures à peine que Sidi-Embarek avait appris la perte de ses biens, de sa famille entière. Aussitôt le cavalier, montant à cheval, s’était hâté de profiter de cette heureuse circonstance pour se faire bien accueillir de nous. On n’avait encore aucun détail, mais, d’après le récit de cet homme, nous pouvions juger de la hardiesse du coup de main et de la décision qu’avait dû montrer le jeune général. La nouvelle se répandit aussitôt, redoublant l’ardeur des soldats, qui, eux aussi, voulaient mener à bonne fin l’entreprise commencée.

À ce moment, nous nous étions rendus à la pointe est, près des chasseurs d’Orléans. Arrivé au pied du rocher avec une partie du bataillon (le reste avait d’abord été envoyé à cette ravine où le colonel d’Illens et le 58e venaient de le remplacer), le lieutenant-colonel Forey, ancien commandans des chasseurs d’Orléans, fit mettre la carabine en bandoulière. « Il s’agit d’escalader, leur dit-il, et vivement ; rappelez-vous que vous êtes chasseurs d’Orléans. » Aussitôt la charge sonna, et malgré le terrain, malgré les ronces, malgré le rocher, ils s’élancèrent comme des singes, sautant, franchissant les obstacles, méprisant les balles qui tombaient d’aplomb, se garant des roches énormes que les Kabyles roulaient sur eux. Ils arrivèrent ainsi, s’aidant des pieds et des mains, jusqu’à un escarpement que, malgré tous leurs efforts, ils ne purent dépasser. Alors, accroupis dans les rochers, leurs balles tuaient sur la crête tous les Kabyles qui osaient se montrer. De temps à autre, ils tentaient encore de nouveaux efforts, et plus d’une main fut broyée par les pierres roulées. C’était un spectacle singulier, une scène du moyen-âge ; on eût dit l’assaut d’une de ces antiques forteresses bâties au bord des précipices.

À son arrivée, le général fit sonner la retraite ; il ne voulait pas sacrifier inutilement le sang de ces braves gens, et il ordonna au bataillon, renforcé par d’autres troupes, de garder tous les passages et de bivouaquer de ce côté du rocher. Un prisonnier kabyle indiquait deux étroits sentiers par lesquels les populations avaient atteint ces sommets qu’elles regardaient comme inexpugnables, et ces chemins étaient tellement affreux, que chevaux et gros bétail avaient dû être hissés avec des cordes ; mais le Kabyle ajoutait que l’eau manquait : dès-lors tous ces gens étaient à nous avant trois jours. L’ordre du blocus fut donné et cette forteresse naturelle fut entourée d’un réseau de postes.

Le 58e, qui avait tenté l’escalade d’un autre côté, avait d’abord été