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amis s’effrayaient pour moi et craignaient pour mes jours. L’un d’eux, dès le 28 au soir, vint tout effaré vers moi et me dit : « Que faites-vous donc, mon ami ? vous allez trop loin, les meilleurs patriotes sont contre vous. Vous savez bien, lui répondis-je, que je vous ai toujours devancé de dix ans ; je vous devance aujourd’hui de trois mois. »

Et ailleurs :

« Quatre révolutions successives, depuis 89, ont été, je ne dirai pas stériles, mais désastreuses pour l’humanité.

« 1o La chute de la royauté, en 92, a été absorbée par le directoire et par Napoléon ;

« 2o la chute de Napoléon a été escamotée par la restauration ;

« 3o La chute de la restauration par Louis-Philippe ;

« ° La chute de Louis-Philippe par ce gouvernement provisoire qui a su si bien préparer le 15 mai et le 23 juin. »

Dans le gouvernement provisoire, ce qui n’était pas réactionnaire était médiocre et souvent même c’était l’un et l’autre. Écoutez encore l’almanach de M. Raspail.

« Bon Dieu ! s’écriait Bonaparte premier consul ; que les hommes sont rares ! Il y a en Italie dix-huit millions d’hommes, et j’en trouve à peine deux : Dandolo et Melzi. »

« Avant lui, Mme Roland, ce grand ministre en jupons, disait : « La chose qui m’a le plus surprise depuis l’élévation de mon mari, c’est l’universelle médiocrité. Jamais, sans cette expérience, je n’aurais cru mon espèce si pauvre. »

« Allez, mon fils, disait Oxenstiern, ministre de Suède, allez, mettez-vous aux affaires, et vous verrez par quels hommes le monde est gouverné ! »

« La mesure de ces vérités n’a-t-elle pas été comblée par tous les spécimens de médiocrités ébouriffantes que nous avons vues défiler devant nous depuis le 24 février ? Il y a de quoi en rougir pour l’espèce humaine et pour le génie français. »

Ce pauvre gouvernement provisoire, auquel nous finirons par nous intéresser en lisant ses détracteurs, n’est pas mieux jugé par le citoyen Raginel, auteur de l’Almanach de l’Egalité. Le citoyen Raginel raconte comment, ayant été nommé commissaire dans l’Aveyron, il alla le 7 mars voir M. Ledru-Rollin, ministre de l’intérieur. M. Raginel était accompagné de M. Barbès. « Arrivés près de Ledru-Rollin, nous le trouvâmes accablé de fatigue ; il venait d’être saigné ; je dis à Ledru-Rollin qu’il était éminemment utile que le gouvernement provisoire décrétât que tous ex-pairs de France, ex-députés, ex-préfets soient suspendus de leurs droits politiques pendant cinq ans, afin de n’avoir plus à lutter avec ces adversaires pendant les premières années de la république Barbès, ce noble cœur, ainsi que Ledru-Rollin, repoussèrent vivement ma proposition en disant qu’il ne fallait pas faire d’exclusion. Qui avait raison d’eux ou de moi ?… La générosité envers leurs adversaires fut toujours trop grande chez ces hommes, mais leurs adversaires n’ont pas à craindre le même reproche. À cette réponse, je pressentis que toutes les mesures révolutionnaires ne seraient prises qu’à moitié ; je devins inquiet sur le sort de la république. »

Qu’est-ce, nous dira-t-on, que le citoyen Raginel, qui traçait ainsi un plan