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siteur ; au troisième concert, qui eut lieu le 3 septembre, Mme Catalani ajouta aux morceaux précédens un air de Piccinni : Se il ciel mi divide, dont le style sévère lui était moins familier. L’étendue, la force et l’éclat de la voix de Mme Catalani, la richesse de sa vocalisation et les charmes de sa personne excitèrent une vive admiration. Il n’y a que Paganini dont l’apparition sur la scène de l’Opéra ait produit un effet comparable à celui de Mme Catalani. Cependant la critique parisienne ne se laissa pas entièrement désarmer par tant de séduction, et, au milieu de l’enivrement général, elle fit entendre quelques bonnes observations.

Napoléon avait entendu aussi Mme Catalani, et, désirant fixer dans sa capitale une cantatrice qui pouvait distraire l’opinion publique de plus graves préoccupations, il la fit mander aux Tuileries. La pauvre femme n’avait jamais vu de près ce terrible virtuose de la guerre qui remplissait l’Europe du bruit de ses fioritures, elle tremblait de tous ses membres lorsqu’elle parut en sa présence. « Om allez-vous, madame ? lui dit le maître de sa voix impériale. — À Londres, sire. — Il faut rester à Paris, on vous, paiera bien, et vos talens y seront mieux appréciés. Vous aurez cent mille francs par an et deux mois de congé ; c’est entendu. Adieu, madame. » Et la cantatrice se retira plus morte que vive, sans avoir osé dire à son brusque interlocuteur qu’il lui était impossible de manquer à un engagement qu’elle avait contracté avec l’ambassadeur d’Angleterre en Portugal. Si Napoléon eût connu cette particularité, il aurait mis l’embargo sur la belle chanteuse, qu’il eût considérée comme une bonne prise de guerre. Mme Catalani n’en fut pas moins obligée de se sauver de France sans passeport. Elle s’embarqua furtivement à Morlaix sur un bâtiment qui venait d’échanger des prisonniers, et dont elle paya les services 150 louis. Cette entrevue avec l’empereur Napoléon fit une telle impression sur Mme Catalani, qu’elle en parlait souvent comme de la plus grande émotion qu’elle eût éprouvée dans sa vie.

Mme Catalani arriva à Londres dans le mois de décembre 1806. Le goût des Anglais pour la musique et les virtuoses italiens remonte à une époque assez éloignée. Dès le XVIe siècle, on voit des joueurs de luth, des chanteurs de madrigaux et de canzonette figurer dans toutes les fètes galantes qu’on donnait à la reine Elisabeth, cette femme bizarre qui aimait autant la mythologie qu’elle détestait le papisme. L’opéra italien existe à Londres depuis le commencement du XVIIIe siècle, et sur ce théâtre fréquenté de tout temps par les classes supérieures de la société brillèrent successivement les chanteurs les plus célèbres de l’Italie, que les écoles de Naples, de Rome, de Bologne et de Venise élevaient pour l’amusement des barbares. C’est là qu’on vit éclater ces luttes héroïques entre Carestini et Farinelli, la Faustina et la Cuzzoni, la Marra et la Banti, la Bellington et la Grassini, la Todi et la Marra ; luttes charmantes qui se sont renouvelées de nos jours entre la Pasta et la Malibran, Jenny Lind et l’Alboni. Les partis politiques se mêlaient à ces duels de la fantaisie, en appuyant l’un ou l’autre des deux champions. Les tories, par exemple, applaudissaient avec transport aux arpéges, aux gammes chromatiques et aux trilles phosphorescens de la Marra, tandis que le style large et le chant pathétique de la Todi soulevaient l’enthousiasme des whigs. Cette rivalité fut poussée si loin, pendant la