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SACS ET PARCHEMINS.

vrault. Le grand industriel avait en lui tant de ressources ingénieuses, ce diable d’homme se sentait si retors, si madré, qu’il ne désespérait pas d’en venir à ses fins et de prendre la marquise dans ses filets.

— Revenons à vous, mon ami ; c’est assez parler de Gaston, reprit enfin Mme de La Rochelandier. Où donc en étions-nous ? que vous disais-je tout à l’heure ?

— Madame la marquise, répliqua le rusé Levrault, vous me disiez que vous ne connaissez pas une grande maison qui ne s’ouvrît devant moi avec empressement, qui ne s’estimât heureuse et fière de recevoir à son foyer l’ange que Dieu m’a donné pour fille.

— Eh bien ! mon ami ?…

— Eh bien ! si j’allais un jour vous rappeler ces belles paroles ? si, prenant ma fille par la main, j’allais vous dire : Madame la marquise, nos enfans s’aiment, ne formons qu’une seule et même famille ?…

— Ah ! répondrais-je, soyez les bienvenus ! s’écria la marquise avec effusion. Béni soit le jour qui me donne une fille…

— Et qui me rend un fils ! s’écria M. Levrault couvrant de gros baisers la blanche main qu’il pressait dans les siennes.

Puis, au plus fort de son ivresse, il porta son mouchoir à ses yeux.

— Quoi ! mon ami, demanda la marquise avec intérêt, auriez-vous eu le malheur de perdre ?…

— Ah ! madame, un enfant si charmant, si blond, si blanc, si rose ! Perdu, hélas ! oui, madame, perdu !… Souvenir affreux !… C’était à Paris, par un soir de fête… On tirait un feu d’artifice sur la place de la Concorde…

— Mon ami, reprit la marquise peu curieuse d’en savoir davantage, ne soyons pas ingrats envers la destinée, ne mêlons point de funèbres images aux douces joies de l’heure présente. Vous l’avez dit vous-même, mon fils vous rendra celui que vous avez perdu.

Une heure après cet entretien, la marquise reprenait le chemin de son manoir, et M. Levrault entrait d’un air de triomphe dans l’appartement de sa fille.

— Madame la marquise, s’écriait-il, embrassez votre père !

— Mon fils, disait la marquise en rentrant, embrassez votre mère, vous avez des millions !

Jules Sandeau.

(La cinquième partie au prochain no.)