Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fraîches, plus éclatantes, et qui ne soit chargée de marchandises de contrebande et de produits avariés !

Encore si, pour raviver l’émotion, nous avions à raconter quelque orage : mais non, pas même le plus petit grain qui rompe avec l’immobilité ordinaire. C’est bien toujours le même ciel grisâtre, la même atmosphère paisible, le même flot lourd et monotone. On a répandu le bruit qu’un trône avait été brisé en trois heures, qu’une forme de gouvernement avait été renversée en moins de temps qu’il n’en faut aux démolisseurs pour mettre bas la maison du plus modeste habitant ; qu’une guerre civile épouvantable s’était levée sur Paris et sur la France, que les vérités les plus fondamentales avaient été livrées à la double attaque du sophisme et des balles ; on a dit que ces événemens avaient eu lieu, que tous ces poèmes, que tous ces drames faits de paradoxes et de larmes avaient passé sous nos yeux, et il y a eu toute une classe, d’hommes qui s’est refusée obstinément à y croire, qui n’y croit pas encore, qui y croira Dieu sait quand ! C’est la classe, de ceux qu’on appelle et qui s’appellent eux-mêmes l’avant-garde de la civilisation, les éclaireurs du progrès, les écrivains d’imagination les poètes ! La tempête qui a renversé une monarchie et ébranlé tous les trônes de l’Europe n’a pas même fait réfléchir les rois du feuilleton. Ces respectables souverains tant ils se sentaient bien assis ! ont cru qu’il suffisait de la vieille expérience pour faire face à des nécessités nouvelles. Ils se flattent d’échapper aux réformes ; ils espèrent que leurs féaux sujets ne leur demanderont pas davantage, et leurs féaux sujets qui semblent avoir pris pour devise le mot d’Horace, nil admirari, ne paraissent pas jusqu’à présent leur avoir donné tout-à-fait tort.

Quant au théâtre, il semble bien décidément préférer l’ancien régime au nouveau. Il n’a pas eu à devenir réactionnaire ; c’était fait depuis long-temps. Loin de devancer l’avenir, ne se faisait-il pas, sous le roi Louis-Philippe, Athénien, Romain, contemporain de Louis XIV et de Louis XV, tout, excepté Français du XIXe siècle, témoin et peintre du règne de la bourgeoisie ? À la monarchie constitutionnelle il n’empruntait qu’un trait qu’il savait d’ailleurs fort mal s’approprier, je veux dire la recherche du mouvement allié à la sagesse dans un certain mélange d’élémens qui n’arrivaient qu’à former un tout des plus équivoques. Cette physionomie de la veille, il l’a gardée. Entrez à ce théâtre, dit, nous ne savons pourquoi, de la République ; ouvrez les yeux et prêtez l’oreille. Où donc, vous demandez-vous, où donc est la république ? Où se cache la révolution ? Ce ne sont que soubrettes et cornettes, que duchesses et paniers, que marquis et cheveux poudrés, que subtilités prétentieuses, bavardage raffiné, clapotage interminable, persiflage et papillotage d’un autre temps. M. Pierre Leroux aurait-il raison ? Les grands-pères revivraient-ils dans leurs petits-fils ? Les jeunes auteurs de ces antiquités seraient-ils par hasard de vieux courtisans de Versailles, reparaissant en pleine république et protestant à leur manière ? O illusion de ceux qui se croyaient à l’abri de toute illusion ! N’avions-nous pas en un moment la pensée que ce vent révolutionnaire, qui a brisé tant de choses fortes et menacé tant de choses saintes, dissiperait toute cette vapeur de parfums, emporterait cette odeur de boudoir, soufflerait sur cette poudre surannée de perruques centenaires ? Que nous étions ingénus !

Selon Dieu, nous comprenons à merveille qu’un mouvement qui s’est opéré au