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révèlent les vrais mérites de l’esprit, qui ne préparent d’une façon pratique qu’à un très petit nombre de carrières, voilà l’enjeu de petite valeur que notre éducation publique demande à tous les concurrens qui veulent tenter la fortune. Pour les admettre à l’épreuve, elle les réunit dans une ville où s’impriment cinquante journaux de l’opposition, et qui a vu trois fois en cinquante ans les pavés se soulever pour rejeter un gouvernement. Puis elle les laisse, en colonnes serrées, en face d’une administration centrale qui dispose d’un budget de seize cents millions et d’une myriade d’emplois, et qui, n’ayant aucun élémens pour faire un choix réfléchi, soit nécessairement puiser parmi eux au hasard. Quelle épreuve pour les caractères ! Soyons juste pour la nation française : de plus modestes et de plus patientes n’y résisteraient pas long-temps.

Comment nous en sommes arrivés là serait une longue histoire qui ne serait autre que l’histoire de France tout entière. Chaque siècle y a contribué ; chaque opinion tour à tour y pourrait revendiquer sa part d’influence et de responsabilité : la monarchie aristocratique avec Louis XIV, la noblesse dans les antichambres de Versailles, la révolution enthousiaste et pure avec la constituante, la révolution effrénée avec la convention, la révolution comprimée avec Napoléon. Nous n’avons assurément pas le temps, et ce n’est pas ici le lieu de faire ce départ. La passion de l’unité à tout prix, la recherche d’une régularité apparente, voilà le sentiment qui n’a cessé d’animer, depuis de longues années, toutes nos grandes institutions. Avoir un centre d’où tout rayonne, une seule autorité bien définie dut tout émane, faire ensuite manœuvrer les hommes, comme des pions tous égaux, qu’on peut transplanter à son gré d’un point à un autre, voilà en tout genre l’idéal de l’administration française. L’Université, qui contenait les germes d’un tout autre et beaucoup plus large principe, entraînée dans, le mouvement général, y a beaucoup trop sacrifié, et comme elle est placée, pour ainsi dire, aux sources mêmes de la vie, elle a donné au cours naturel des esprits une impulsion nouvelle d’une force extrême et déplorable.

Pour notre part, cette unité qui plane sur le chaos nous fatigue singulièrement. Depuis la révolution dernière, il nous est impossible de considérer cette machine de l’administration française avec sa régularité extérieure qui couvre une si effroyable confusion sociale, sans songer à une anecdote qui a diverti autrefois le parlement britannique. C’était dans un des momens de spéculation effrénée communs à cette nation entreprenante. La construction des canaux était alors la manie des faiseurs de plans. Un d’entre eux, mandé dans une commission parlementaire, développait avec chaleur un vaste système destiné à couvrir le territoire tout entier de la Grande-Bretagne d’un réseau de