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la morne attitude de prophètes outragés. Tout vainqueurs de février qu’ils étaient, nos hommes comprirent que des ouvriers qu’on a l’air d’insulter, lorsqu’on leur demande son pantalon ou sa chemise, sont de tristes ouvriers. Cette leçon leur fut salutaire. J’ai entendu plus d’un volontaire dire : « Si celui-là, au lieu de prêcher, cousait ma tunique, la république n’en irait pas plus mal, et je ne serais pas tout nu. » Non-seulement ces majestueux tailleurs ne voulaient rien faire, mais ils prétendaient encore empêcher de travailler tous ceux qui ne piégeaient pas dans leurs conseils. Ils menaçaient de quitter leur olympe pour donner des gourmades à tous ceux qui prendraient l’entreprise de nos habits. Enfin on se débarrassa de leur joug. « Moi qui ai brûlé un trône, dit un jour un mobile, je brûlerai bien leur établi. » On adjoignit à ces frères, unis les frères isolés qu’ils voulaient rosser et ne rossèrent pas, et la garde mobile fut habillée.

Toutefois elle était encore dans son costume des premiers jours le 16 avril. C’est ce que ne regrettera jamais aucun de ceux qui ont vu dans ses rangs cette journée. Ces enfans en guenilles, qui marchaient d’un pas si résolu à la défense de l’ordre et de la fortune publique offraient un spectacle admirable et inattendu. Il fallait entendre les cris dont la garde nationale nous saluait ! Des légions entières semblaient entraînées vers nos bataillons par une attraction magnétique. Des mains inconnues nous donnaient de rapides étreintes. C’est par cet enthousiasme que la garde mobile fut conquise à la cause qu’elle a si intrépidement défendue. Je puis affirmer que si, le 16 avril, ceux qui espéraient l’heure de la guerre civile eussent osé tenter une bataille, on aurait vu des barricades enlevées par des compagnies de soldats en blouse. Je craignais à chaque instant de confondre les hommes que je commandais avec les ouvriers qui nous pressaient de toutes parts et s’efforçaient de rompre nos rangs. Les uns et les autres portaient le même costume ; mais je reconnaissais les nôtres à ce je ne sais quoi d’honnête et de déterminé dans l’allure que prennent les gens du peuple dès qu’ils ont embrassé la carrière des armes. Il n’y a point, pour le peuplé, de meilleure philosophie que l’exercice. La caserne corrige le club et finit même heureusement par le dévorer. L’esprit militaire est le contre-poison de la démagogie.

Je veux, pour preuve de l’empire qu’exerçait cet esprit parmi nous, la manière dont furent fêtées nos premières cartouches. Quelque temps avant le 15 mai, à cette époque où tout habitant de Paris se demandait le matin s’il n’aurait pas le soir une balle dans sa cervelle et le feu dans sa maison, où l’inquiétude et le péril étaient dans l’air, où l’on interrogeait la rue comme on interroge la mer dans la saison des tempêtes, un officier d’état-major arriva en bourgeois à notre caserne. On venait de battre pour la soupe du soir. Nous avions été consignés