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laquelle il ne renonça jamais, le ministre français prédit au gouvernement de la nouvelle impératrice une durée éphémère ; puis l’amour-propre blessé venant au secours d’une prophétie démentie par l’événement, il s’obstina davantage et finit par ériger son erreur en système.

Dans cette première période de son règne, placée sous la menace d’un avenir incertain et des plus graves périls, Catherine demandait une force invincible aux difficultés mêmes de sa situation. Remplie d’une confiance illimitée en son étoile, elle déployait une sorte de gaieté exaltée et de coquetterie héroïque. Le baron de Breteuil résidait alors comme ministre de France à la cour de Russie. Au moment de partir pour Stockholm, où il venait d’être nommé ambassadeur, M. de Breteuil fut reçu par l’impératrice en audience de congé, non pas solennelle, mais particulière, sans étiquette, sans cérémonie ; c’était à Moscou. Catherine l’accueillit avec un mélange de bienveillance et d’ironie. « Vous serez mon ennemi en Suède, lui dit-elle, vous le serez, j’en suis sûre. » L’ambassadeur se défendit avec une galanterie respectueuse ; il assura que désormais l’Europe allait vivre en paix sous les auspices de sa majesté impériale. « Vous croyez donc, reprit Catherine, que l’Europe a maintenant les yeux fixés sur moi ? j’ai donc quelque considération dans les cabinets ? Je pense en effet que la Russie mérite attention. La paix faite, j’ai la plus belle armée du monde ; je ne manque pas d’argent, et j’en serai abondamment pourvue en peu d’années. J’aurais encore plus de goût pour la guerre que pour la paix, si je me laissais aller à mon penchant ; mais l’humanité, la justice et la raison me retiennent. J’espère toujours conserver la paix. Cependant il ne faudra pas me pousser, comme l’impératrice Élisabeth, pour entreprendre la guerre ; je la ferai quand elle me sera nécessaire, par raison, jamais par complaisance. » Catherine mit alors la conversation sur l’insuffisance de ses ministres ; « heureusement, dit-elle, des sujets plus jeunes me donnent la consolation de l’espérance et moi, je ne croix rien négliger de tout ce qui peut plaire à ma nation. » Elle parla ensuite de l’empire ottoman. M. de Breteuil prit la liberté de lui faire observer que, dans le Levant, les soins de la France pouvaient quelquefois être utiles à la Russie. « Croyez-vous donc, répondit fièrement l’impératrice, avoir dans le divan plus de crédit que moi ? » Le baron allégua la vieille amitié fondée sur l’éloignement des deux pays ; il rappela les services que la France avait rendus à la Russie dans sa dernière paix avec la Porte. L’impératrice parut vouloir ignorer cette obligation. « La guerre, dit-elle, avait été brillante pour la Russie, la paix l’aurait été davantage si les Autrichiens s’étaient montrés de bonne foi ; mais ils nous plantèrent là. Pierre III le leur a bien rendu. Nous sommes quittes. » Elle s’arrêta, puis reprit après un moment de réflexion : « On