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d’une eau limpide, entouré d’une fraîche verdure, nous n’avons plus trouvé qu’une vase fouillée par les pieds fourchus des animaux domestiques. Cependant les pauvres indigènes s’étaient efforcés de préserver une partie de ces sources en les couvrant de troncs d’arbres qu’ils avaient coupés, à cet effet, aux alentours. Les changemens opérés dans cette vallée jadis si heureuse, par suite de l’intrusion du bétail et des hommes de race européenne, n’étaient nullement favorables, et je n’ai pas eu de peine à me figurer de quel œil de regret et de colère je les aurais envisagés, si j’avais fait partie de la race indigène.

M. Mitchell avoue d’ailleurs qu’il ne lui appartient pas de déconsidérer le caractère des naturels, attendu que l’un d’eux a été son guide, son compagnon, son conseiller et son ami ; mais n’exagère-t-il pas les devoirs de la reconnaissance et de l’affection quand il trace le portrait suivant de ses protégés ? « Yulliyally, notre guide nouveau, était un spécimen parfait du genus homo, tel qu’il serait impossible d’en rencontrer un semblable, excepté dans le cercle de la vie sauvage. Ses mouvemens, dans la marche, avaient une grace inimaginable pour ceux qui n’ont vu l’animal appelé homme que drapé et chaussé. Une épine dorsale d’une extrême flexibilité, creusant, dans le dos, un sillon profond : des muscles arrondis et parfaitement élastiques ; un torse, balancé symétriquement et orné, comme un riche morceau de sculpture, de scarifications formant des dessins pleins de goût et d’élégance : voilà ce que laissait voir de plus caractéristique cette machine humaine parfaitement construite et développée en toute liberté. L’animal civilisé, considéré seulement au point de vue de l’histoire naturelle, est bien inférieur. En vain chercherait-on, parmi des milliers d’individus de cette classe, des dents pareilles, des facultés digestives si puissantes, des organes si excellens de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût et du toucher ; une telle vigueur à la course et à la marche ; une santé si robuste, et enfin une telle intensité d’existence qui donne des jouissances bien supérieures à celles que la civilisation a jamais pu enfanter. »

Ce portrait bouleverse toutes les idées reçues sur cette partie de la race mélanésique, qui, par sa laideur repoussante, a excité le dégoût de la généralité des voyageurs. L’autorité de M. Mitchell en ces matières est de celles devant lesquelles on s’incline ; aussi, c’est en l’opposant à lui-même que nous nous permettons de le réfuter. En d’autres endroits de son récit, il s’est montré moins partial. Les dessins qui ornent son ouvrage semblent aussi protester contre la description qu’on vient de lire. Le type des Australiens se rapproche généralement de l’ensemble des traits que voici : un front bas et proéminent, des yeux enfoncés profondément sous les arcades sourcilières ; un nez court, rond et gros, déprimé au-dessous du front ; des lèvres épaisses ; une barbe pleine qui couvre la moitié des joues ; une chevelure laineuse et inculte ; un torse grêle ; le ventre semblable à un sac ; des bras longs, des jambes en fuseaux ; bras et jambes sont d’une maigreur excessive. Ce qu’on peut dire de mieux en faveur de ces physionomies qui, à une laideur toute socratique, joignent les traces de la malpropreté, c’est qu’elles expriment parfois un mélange de fermeté et de bonté. Ces deux qualités ne peuvent d’ailleurs être qu’à l’état d’instinct chez des individus qui n’ont aucunes lois divines ni humaines, et dont l’esprit ne reçoit aucune espèce de culture.

En avançant sur le territoire occupé par les tribus hostiles, M. Mitchell et