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le partage de la pologne.

chef du cabinet autrichien, avait pénétré l’avenir ; Kaunitz avait aperçu le partage de la Pologne dans une perspective peut-être éloignée, mais certaine. Il ne conçut pas spontanément le projet de s’y associer, mais il ne voulut rendre aucune chance impossible, surtout : dans un moment où éclataient deux grands faits : l’élection d’un roi des Romains et la mort de la marquise de Pompadour. Par l’un, la Prusse se rendait nécessaire ; par l’autre, la France devenait suspecte.

Mme de Pompadour languissait, atteinte d’une maladie incurable, sérieux événement, objet de crainte et d’espérance pour l’Europe, et surtout pour la cour de Vienne. À peine la favorite avait-elle rendu le dernier soupir, qu’on l’oublia à Versailles ; mais il n’en fut pas ainsi dans les cours étrangères. Mme de Pompadour pouvait emporter au tombeau tout un système politique. Sa perte devint la crainte de Vienne, l’espérance de Berlin. Frédéric s’en réjouit. La mort d’une femme lui portait toujours bonheur. Marie-Thérèse, au contraire, en fut profondément affligée. Pendant la maladie de la marquise, le prince Kunitz s’était informé avec anxiété de ses progrès. Selon que les nouvelles apportées par le chargé d’affaires de France paraissaient inquiétantes ou favorables, le front du ministre autrichien se couvrait d’un sombre nuage ou reprenait sa sérénité. L’auguste Marie-Thérèse elle-même daigna s’écrier, en apprenant qu’on n’avait plus d’espoir de conserver Mme de Pompadour : « Voilà une perte bien grande pour le roi et pour la France ! » M. Gérard (c’était le nom du chargé d’affaires) fut prié très instamment de transmettre à sa cour l’expression d’une si glorieuse sympathie, et le ministre des affaires étrangères, renvoyant dans sa réponse, en manière d’écho, le mot de l’impératrice-reine, dit à son tour : « Il est certain que c’est une très grande perte pour le roi[1]. »

La cour de France eut beau protester qu’aucun changement ne serait opéré dans le système de ses alliances : Kaunitz prit ses précautions et se tourna vers le roi de Prusse. Déjà Marie-Thérèse avait préparé un rapprochement entre les cours de Berlin et de Vienne ; un échange de prisonniers avait motivé une correspondance officielle. De part et d’autre, les deux cours s’étaient félicitées de leur nouvelle amitié, dont l’élection de l’archiduc Joseph en qualité de roi des Romains devint bientôt le commentaire et le sceau. Très peu de temps après, ce prince fut élu empereur d’Allemagne sous le nom de Joseph II.

Peut-être est-ce à la mort de Mme de Pompadour qu’il faut reporter le partage de la Pologne, et ce ne serait pas une des moindres singularités de l’histoire. Quoi qu’il en soit, depuis la coïncidence de cet événement avec l’élévation de l’archiduc Joseph au trône impérial, l’alliance de la France et de l’Autriche se détendit visiblement. Cette

  1. Gérard à Praslin, 6 août 1764. Praslin à Gérard, août 1764.