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étroitement les liens relâchés du vieil empire de Soliman ? Ce n’est point la droiture des intentions qui lui manque ; mais elle rencontre dans les obstacles qui lui sont suscités du dehors des entraves contre lesquelles elle est peut-être impuissante à lutter à elle seule. La question serait de savoir dans quelles limites l’Europe serait disposée à lui prêter assistance.

Peu de temps après la révolution de février, un mouvement eut lieu dans les principautés de la rive gauche du Danube au cri de vive le sultan ! Il y avait là des souffrances héréditaires à calmer ; le divan consentait. Que fit la Russie ? S’attribuant le droit d’empêcher la Turquie de modifier les institutions des Valaques de concert avec ce peuple, elle intervint avec soixante-quinze mille homme La Turquie consulta ses alliés en leur exposant ses griefs et ses droits. Qu’ont répondu la France et l’Angleterre ? Rien. La Russie, entrée dans les principautés, s’est hâtée d’en faire une position stratégique contre la Hongrie en violant le territoire ottoman. Qu’ont dit les cabinets de Paris et de Londres ? Rien, comme si la présence de la Russie dans les principautés eût été un fait ordinaire et normal. Comment triompher de cette apathie invétérée dont on ne sort, par hasard, que pour y retomber plus à l’aise et s’y endormir en complète sécurité ?

Je suppose comme point de départ l’entente cordiale de la France et de l’Angleterre dans ce qu’elle peut avoir de sincérité. Cette sincérité serait bien elle-même, si l’on veut, une hypothèse ; elle est rare dans l’histoire des rapports internationaux de la France et de l’Angleterre. Serait-ce une raison d’en désespérer ? De ce qu’une rivalité parfois fâcheuse pour l’une et pour l’autre existe entre les deux nations, en ressort-il que leurs intérêts ne puissent pas se trouver liés par rencontre ? La question de savoir si l’intégrité de l’empire ottoman est oui ou non possible, s’il y a quelque moyen de l’assurer, ne serait-elle pas précisément une de ces questions dans lesquelles l’Angleterre et la France sont, en un sens, condamnées à se concerter, sous peine de compromettre chacune individuellement leur avenir ? L’on en prendrait la certitude si, l’on se rendait bien compte de ce que signifie ce grand mot si souvent répété : La Russie veut Constantinople. On est trop accoutumé à ne voir dans cette hypothèse qu’un événement très fâcheux dont la conséquence serait seulement de remettre à la Russie les clés de la Mer Noire et de la Méditerranée. Outre l’avantage en quelque sorte matériel que toute grande puissance peut s’assurer par Constantinople sur le reste de l’Europe, la Russie, maîtresse de cette grande position stratégique, rencontrerait encore des facilités d’agrandissement qui ne peuvent appartenir qu’à elle : l’instrument religieux et l’instrument de race. On aura beau contester la valeur de l’idée de race, il n’est plus possible d’en nier la puissance dès que l’on a mis le pied sur le sol de l’Autriche et de la Turquie. C’est l’unique préoccupation des petits comme des grands, et en quelque sorte le lien des esprits. Il ne serait pas moins vain de méconnaître le zèle de la Russie à flatter en un sens ce mouvement dans lequel elle apparaît comme la personnification du slavisme à l’état de nation constituée. Aujourd’hui les Slaves de la Turquie la repoussent avec effroi ; remarquez pourtant que cet effroi, c’est le despotisme qui le cause. Que si le cabinet russe se relâchait de ces rigueurs qui lui ont valu une si triste renommée, croyez-vous que la répulsion que les Slaves