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que l’Autriche pourrait espérer de gain personnel dans une dissolution de l’empire turc ne ferait que tourner à sa propre perte, par la prépondérance qu’elle aurait laissé prendre à la Russie. Il n’en est pas moins vrai pourtant que l’Autriche à l’aide de son slavisme, qu’elle subit chez elle avec chagrin, mais qu’elle n’a jamais craint d’exploiter au dehors, en Bosnie, par exemple, est à même de prêter à la Russie un concours redoutable dans ses manœuvres et dans ses entreprises contre l’empire ottoman. On sait que les Bosniaques, seuls de tous les Slaves de la Turquie, appartiennent à la communion catholique, comme la Croatie. À différentes époques, surtout dans les années qui ont précédé les révolutions d’Autriche, le cabinet de Vienne s’est prêté avec la plus large complaisance à la propagande que les journalistes d’Agram dirigeaient sur la Bosnie. Plusieurs fois les Turcs ont reconnu, signalé à l’Autriche les agences politiques ou religieuses d’où partaient ces menées, de nature parfois à provoquer des conflits. Récemment, au fort de la dernière campagne de Hongrie, ces tentatives se sont reproduites, et elles ont été sanglantes. Le prestige assuré dans ces pays au slavisme croate avait grandement exalté l’imagination des catholiques. Par le moyen de la Croatie, l’Autriche possède donc de puissantes ressources pour nuire à la Turquie, au cas où le czar songerait à entraîner son alliée dans une croisade contre l’islamisme.

Si les cabinets de Paris et de Londres conviennent qu’ils ont intérêt à s’unir dans une pensée de prévoyance, le premier fait qui doit attirer leur méditation, c’est cette situation nouvelle créée sur le Danube et la Save par l’alliance austro-russe. N’y aurait-il point, dans les circonstances mêmes qui ont occasionné l’alliance intime de la Russie et de l’Autriche, des raisons d’espérer qu’elle ne survivra pas à ces circonstances ? L’impression sous laquelle le cabinet de Vienne a eu recours à l’intervention russe a été double. À l’intérieur, l’Autriche était été tombés dans une crise imprévue, par suite des fautes d’un grand personnage, aussi détestable politique que mauvais général, combinées d’ailleurs avec les erreurs de ministres inexpérimentés et téméraires qui avaient cru pouvoir dédaigner les forces irrégulières, mais dévouées, qui s’offraient d’elles-mêmes. Au dehors, l’Autriche était isolée, en conflit avec la Prusse au sujet de l’Allemagne, en rapports délicats avec la France en Italie. Enfin, comme pour lui porter le coup de grace, à l’heure où elle ressemblait au vaisseau qui sombre, son alliée la plus naturelle et la plus constante, l’Angleterre, prenait une joie maligne et inexplicable à la harceler de mille taquineries assez conformes au caractère du chef du Foreign Office ; l’Angleterre accueillait avec des démonstrations de sympathie les représentans de l’insurrection magyare, elle donnait à l’insurrection elle-même des encouragemens moitié officieux et moitié officiels. Il serait difficile de préciser sous l’impulsion de quels sentimens l’Angleterre agissait ainsi, à moins qu’elle n’eût le dessein d’embrouiller la situation européenne de façon à la rendre inextricable. Toujours est-il que l’Angleterre, plus que la Prusse et plus que la France, qui n’étaient point aussi directement en passe d’aider l’Autriche de leur influence, a contribué à lui rendre indispensable un appel à l’intervention du czar. Aussi long-temps que l’incendie allumé en Hongrie ne serait pas éteint, et que l’isolement diplomatique de Autriche du côté de l’Occident n’aurait pas cessé, le cabinet de Vienne serait