Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/586

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laissant aux matelots, dans leurs rudes bercemens, aucun instant de tranquillité. Aussi de quelles apostrophes ils saluent cette terre pour eux si inhospitalière ! Même à Saint-Paul, où la mer vient expirer sur une plage de sable, le sentiment de la sécurité n’existe pas. Partout les chargemens et les déchargemens ne s’opèrent qu’au milieu d’incessans dangers ; à chaque instant, on craint de voir les chaloupes s’entr’ouvrir et se briser ; on est assourdi du cri des noirs qui les maintiennent à la lame, et dont le corps ruisselle d’écume. En vain les points de la côte ont-ils été explorés avec le plus grand soin ; l’art humain déclaré son impuissance à doter Bourbon de ce que la nature lui a si impitoyablement refusé, un port, un abri pour les navires en détresse. Voilà tout ce que les funestes traités de 1815 ont laissé à la France dans les mers de l’inde, dans ces mers si souvent bouleversées par les ouragans : un rocher sans rivages où l’on n’aborde qu’à l’aide d’une échelle en corde suspendue sur les vagues ; une côte de fer sans port, sans rade, sans la moindre crique où puissent s’abriter des chaloupes, et près de laquelle, pendant cinq mois de l’année, les navires ne mouillent qu’en perdition ! L’Angleterre ; quand elle rendit Bourbon à la France, avait-elle donc un instinct sûr de cette impossibilité d’y créer rien qui ressemble à un port, et, en enchaînant notre activité maritime sur ce roc déshérité, savait-elle donc qu’elle nous tenait si complètement à la discrétion, réduits à n’être que tolérés dans les mers de l’Inde ?

La petite ville de Saint-Denis est le chef-lieu de l’île : posée sur l’arête d’un double ravin dont elle couvre l’un des flancs, elle apparaît comme une oasis encadrée dans une ceinture de montagnes. À droite, à gauche, sur sa tête culminent de sombres mornes ; ses pieds reposent sur une plage de galets noirs où la mer éparpille sans cesse sa blanche écume. La plupart des maisons rappellent les charmans cottages de la Grande-Bretagne : une cour ombragée sur le devant, de beaux arbres de chaque côté, un gazon vert, des fleurs brillantes au bord du sentier, souvent un bassin à jet d’eau en face du porche, de grands appartemens, de l’air, du jour, une lumière éclatante, la solitude et la liberté, car chaque famille a sa maison. Quel sage battu des orages de la vie n’a pas cent fois soupiré après un pareil asile ? L’hôtel du gouvernement est une agréable résidence : une cour précède, toute fraîche de jets d’eau et d’ombrages ; le balcon domine au loin le mouillage et l’horizon de la mer ; le jardin, créé comme par miracle sur un roc nu, offre de délicieuses retraites. À l’extrémité de la ville s’étend le jardin botanique, semblable à une couronne de verdure. Après une longue traversée de mer, quand on se trouve tout à coup sous les voûtes sombres de ces allées de manguiers, — au milieu des bosquets de cocotiers et de palmiers dont le feuillage ondoie en panache dans un ciel