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les mérites des personnages, traitait à fortiori très lestement la vérité iconographique. De là tous les portraits anciens, apocryphes de parti pris, dont fourmillait, au milieu de portraits authentiques, le palais-musée bâti par lui aux bords dit lac de Côme, sur les ruines de la superbe villa de Pline le Jeune. Telles sont les fantaisies que ses deux beaux livres d’Éloges des guerriers et des savans illustres reproduisent en gravures sur bois. Ainsi encore, poussé par le pédantisme du complet et la manie d’une vaine décoration, le cardinal Mazarin avait fait peindre pour sa galerie la suite non interrompue des papes depuis et y compris saint Pierre. Nous le répétons, tous ces puérils caprices d’érudits et d’amateurs sont indignes d’un musée sérieux et national.

Un portrait qui mériterait d’être l’objet d’une discussion particulière est celui qui est placé aux origines de l’école française, dans les galeries du Louvre, et qui porte sur la toile même cette inscription : Le très victorieux roy de France, Charles septième de ce nom. Le personnage, vu à mi-corps et de grandeur naturelle, offre des traits d’une expression mâle, calme et profonde. La tête, dont on n’aperçoit point les cheveux, est coiffée d’un bonnet échancré. Le corps est vêtu d’une tunique à manches garnies de fourrures. La peinture est sur bois ; elle est pleine de caractère, et tient, quant à l’exécution, de l’école gothique de la Flandre. Or, il se vendit à Paris, en 1814, à la vente d’un M. Didot, un portrait parfaitement identique, également sur bois : même personnage, même pose, même style de peinture, même proportion. La seule différence consistait en quelques détails de costume et en ce que le personnage tenait un arc et une flèche, et qu’au lieu du nom du très victorieux roi Charles VII, le haut de la peinture portait, en une banderole aboutissant à une petite horloge, les mots suivans : Hora est tandem nos de somno surgere, quia novissima hora est ; « il est l’heure enfin de sortir de notre sommeil, car la dernière heure a sonné. » À raison de la flèche et de l’inscription, on avait fait de la figure un portrait impossible : un Guillaume Tell ! À tout prendre, le costume indiquerait l’effigie de quelque duc de Bourgogne, et si nos souvenirs ne nous trompent point, c’est en effet le Philippe III, dit le Bon, des musées de Dijon et de Flandre.

À mesure qu’on avance dans l’histoire, les suppositions se multiplient, étranges, ridicules ou scandaleuses. Thomas de Leu avait donné de Michel de Montaigne un portrait, d’ailleurs assez excentrique, reproduit depuis par Ficquet. Les descendans d’Olivier de Guernegeslin, chevalier de Saint-Michel comme Montaigne, n’ayant pas d’effigie de leur auteur, et trouvant celle-ci à leur guise, s’avisèrent de faire regraver le Thomas de Leu trait pour trait par Léonard Gauthier, sous le nom d’Olivier de Guernegeslin, avec ses armoiries[1]. Plus tard, un portrait de Huet, le savant évêque d’Avranches, ne se vendant plus, fut canonisé en saint Exupère, patron fort vénéré dans le diocèse d’Avranches, et l’on s’en disputa les épreuves ainsi renouvelées.

Rien n’arrête les faussaires. Deux bonnes gens, Aubert, dessinateur, élève de Santerre, et Le Gallois, qui a écrit sur les plus belles bibliothèques de France, avaient été gravés fort ressemblans. Éclata en 1721 le procès de Cartouche ; toute la France fut en émoi. Legrand mit ce brigand en comédie dans le temps même du procès, et la pièce fit fureur. Des portraits étaient demandés

  1. Voir la Notice bibliographique de M. le docteur Payen sur Michel de Montaigne.