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précis encore que Janet et d’une finesse un peu allemande ; Corneille, de Lyon, qui plus tard, peignit l’escadron de beautés provoquantes de la cour de Catherine de Médicis, ne tentèrent que, peu ou point d’excursions dans un autre domaine que celui du portrait. Janet fut à peu près le seul qui essaya quelques compositions. Enfin partit Jean Cousin, peintre, sculpteur, architecte et graveur, mais le plus souvent peintre verrier : talent vrai, original, quoique touché des traditions italiennes, et duquel pourrait dater la peinture en France[1]. Malheureusement il ne fit point école, et s’il éclaira un instant l’époque d’une chaude demi-teinte, on vit à sa mort l’art se noyer de nouveau dans un sombre crépuscule dont il n’était donné qu’au Poussin et à Le Sueur de faire plus tard sortir le jour.

Cependant le modeste, dessin de portrait, sorte d’imitation de la peinture, au moyen de la pierre noire rehaussée, de sanguine et de crayon blanc, maintenait à sa manière les traditions et conservait le dépôt des arts. Nul doute que ce genre n’eût gagné à être pratiqué par des peintres d’histoire, eux à qui l’on doit les meilleurs portraits ; mais les dessins y eussent perdu en naïveté ce qu’ils eussent gagné en style et en idéal. D’ailleurs, les peintres d’histoire étaient à naître, et la compensation que nous offrent les dessins d’alors a bien son prix.

  1. Le Louvre ne possède qu’un tableau à l’huile, le Jugement dernier, de ce grand artiste ; mais il existe de lui une très belle peinture qui serait digne de figurer dans la grande tribune, de notre Mussée, au double titre de monument de notre art national et de chef-d’œuvre. Cette peinture, qui est à Sens chez M. Chaulay, ancien notaire, représente Eva prima Pandora. Tel est le titre inscrit par Jean Cousin lui-même sur son œuvre. La figure, entièrement nue et presque aussi grande que nature, repose sur une grande draperie de couleur rouge clair. Couchée dans une grotte et accoudée sur une tête de mort, Ève tient de la main droite une branche du pommier fatal, tandis que son bras gauche, autour duquel s’enroule le serpent, s’étend sur un vase d’où s’échappent tous les maux, figurés par de petits génies. La grotte est ouverte sur une mer agitée ; non loin de là s’aperçoit une ville de riche architecture. L’aspect général du tableau a quelque chose d’italien qui atteste l’invincible influence de Léonard et du Primatice sur tout ce qui, cette époque, tenait avec le plus de fermeté le pinceau en France. La pose rappelle beaucoup celle de la Diane de Poitiers de Jean Goujon et plus encore de la Diane de Benvenuto Cellini. L’histoire de ce tableau présente quelque chose de fatal : Jean Cousin s’était bâti près de Sens le château de Montard, à Soucy, lieu de sa naissance. C’est dans ce château qu’en 1685 Félibien découvrit l’Eva dont le panneau remplissait, au grenier, la fonction de Cloison d’un charbonnier, la peinture tournée du côté du charbon. Félibien la sauva de la ruine. Je ne sais quel pinceau maladroit la retoucha ; mais rien de plus facile que de faire disparaître les traces, assez légères d’ailleurs, de ces restaurations. Le château de Moutard appartenait déjà en 1685 à la famille Fauvelet de Bonnaire, dont faisait partie Fauvelet de Bourienne, le fameux secrétaire de l’empereur Napoléon. C’est encore cette famille qui en est propriétaire aujourd’hui, et c’est par elle et à la suite d’une alliance de famille que l’Eva a à M. Chaulay de Sens. La filiation du tableau est donc trop nettement établie pour qu’aucun doute puisse s’élever sur l’authenticité. — Félibien n’est pas le seul qui ait signalé ce tableau précieux ; le comte de Caylus l’a également cité.