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une galerie de grands hommes et une galerie de peintres peints par eux-mêmes Il y en a près de cinq cents, pour la plupart authentiques. D’un autre côté, si l’on y prend bien garde, on trouve que, dans les tableaux de maîtres primitifs antérieurs ou postérieurs au Giotto, à Van Eick et à Hemling, les personnages portent au front une telle force d’individualité ? qu’évidemment ce sont des portraits. On en découvre de temps en temps les noms par la confrontation avec d’autres monumens contemporains. Les grandes Noces de Cana de notre Musée, peintes par Paul Véronèse, offrent, sous la figure de l’époux et de l’épouse notre roi François Ier et la reine Hélionneur, comme on l’appelait alors, c’est-à-dire Éléonore d’Autriche, sœur de Charles-Quint, dont elle a tous les traits. On y voit encore le Titien, plusieurs autres peintres contemporains, et la célèbre poétesse Vittoria Colonna. Il en est de même de beaucoup de tableaux de nos maures : par exemple, la Cène de Philippe de Champaigne, au Louvre, est une galerie de portraits des glorieux solitaires de Port-Royal. Philippe de Champaigne, qui avait une de ses filles à Port-Royal-des-Champs, était le peintre ordinaire des jansénistes ; Mlle Hortemels, leur graveur. Les vues et batailles de Van der Meulen sont de toutes parts semées de portraits. Il en est de même encore des verrières et des tapisseries : les donateurs s’y faisaient représenter. On possède au musée Du Sommerard une histoire du roi David en tapisseries probablement flamandes, où David est le roi Henri VIII d’Angleterre, et Bethsabé, Anne de Boleyn. Néanmoins, encore une fois, quant à ce qui touche la peinture de portraits sous la renaissance, les moyens de repère et de confrontation sont loin de répondre, chez nous, à l’abondance des matériaux de l’Italie.

Il ne suffit pas, d’ailleurs, d’avoir constaté dans les crayons l’exactitude de l’image représentée, il reste à découvrir l’auteur du portrait, et la tâche devient plus rude encore. C’est à regretter ces banderoles gothiques partant de la bouche des personnages, et qui d’un coup mettaient au courant de leur généalogie et de leurs affaires. On a quelques noms d’artistes épars dans certains livres contemporains ; on n’a sur eux nulles notions biographiques. La bibliothèque de la rue Richelieu possède un recueil de crayons de la cour de Henri II et de Henri III, dont l’un porte le nom d’un artiste inconnu, nommé Fulonius. De nombreux crayons sont signés de Daniel Du Monstier : son faire est connu, il n’y a pas à s’y tromper ; mais de rares ouvrages sont signés d’un Du Monstier dont le prénom est Pierre. Un seul l’est de Nicolas Quesnel. Comment réintégrer l’homme dans son œuvre ? comment rendre à César ce qui est à César ? en un mot, à quels signes secrets reconnaître les maîtres : Clouet dit Janet, bien qu’il s’appelât François, et Marc Duval, et Levaillant, et Lagneau, et Vande, peut-être même les deux Porbus ? On sait bien que l’ardent collecteur Lacroix du Maine vante une certaine Élisabeth de Duval, Parisienne, qui était, dit-il, fort excellente pour le crayon et encore pour autres choses requises à la pourtraiture ; mais c’est tout ce qu’on sait d’elle : rien de sa main qui, soit signé. Toutefois il faut se dire, avec Mme de Maintenon, « qu’il en est de beaucoup d’entreprises comme de battre le briquet ; on n’y réussit que par des efforts réitérés et à l’instant où l’on désespérait du succès. Tôt ou tard, en effet, la vérité se manifeste, et souvent les monumens les plus disparates en fournissent les élémens. Un portrait est comme un fait historique : quand deux auteurs contemporains, placés dans des camps opposés ; affirment ce fait, on doit le présumer vrai. De même, quand