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Shirley n’en sort pas. Ce roman dépayse fort agréablement un lecteur étranger. Il se compose, je crois, d’une trentaine de chapitres. Je ne connais pas le Yorkshire, où Currer Bell a placé la scène de Shirley ; mais, quoique le pays et la société ne paraissent pas devoir être fort attrayans pour un Français, j’y passerais volontiers un mois, à condition de voir en action chaque jour un chapitre de Shirley, de vivre avec des personnes aussi aimables, aussi originales, aussi curieuses que celles dont Currer Bell a peuplé son roman, et d’être admis aux entretiens vifs, énergiques, positifs, poétiques, fantasques, qui remplissent ce livre.

Figurez-vous que vous êtes à la campagne, au nord de l’Angleterre, dans une petite paroisse qui s’appelle Briarmains. N’oublions pas la date, c’est vers 1812. Il y a là quatre maisons principales : le presbytère du recteur, M. Helstone, la manufacture, d’un jeune fabricant de draps, M. Robert Moore, le manoir de Fieldhead qui appartient à une jeune fille, Shirley Keeldar, la maison d’un vieux manufacturier nommé. M. Yorke. Voici les ressources de société qui vous attendent dans ce séjour. Le recteur, M. Heistone, est un petit homme de cinquante ans, sec, alerte, belliqueux, bouillant tory, impitoyable ennemi des jacobins fort dégrisé, par sa propre expérience, sur le chapitre du mariage, qui n’a rien de l’esprit pacifique de son état, et figurerait mieux, ma foi, à la tête d’une compagnie dans l’armée de Wellington en Espagne. M. Helstone a recueilli et élevé une jeune fille, sa nièce, Caroline Helstone ; qu’on appelle Cary par familiarité, Lina par affection. Caroline est une victime posthume du mariage ; son père, mort maintenant, fut un mauvais sujet, et de sa mère, qu’elle n’a point connue, mais qui vit encore, on n’a plus eu de nouvelles depuis des années. Robert Moore, le manufacturier, est le cousin de Caroline, et Caroline l’admire et l’aime timidement. Robert Moore est d’origine française par sa mère. C’est une énergique nature. Il veut refaire la fortune de sa famille ruinée par une banqueroute au milieu des secousses révolutionnaires. Toute son ame et toute sa vie se concentrent dans ce dessein, qu’il poursuit, au travers d’embarras de toute sorte, avec une obstination et une intrépidité héroïques. Il vit avec sa sœur, plus française qu’anglaise, une espèce de provinciale de chez nous transplantée dans ce qu’il y a de plus anglais en Angleterre. La châtelaine de Fieldhead, miss Shirley Keeldar, est la résidente la plus brillante de Briarmains. Elle est orpheline, elle aussi, et maîtresse de sa fortune. Ses parens, n’ayant pas eu de fils, lui ont donné un prénom masculin, Shirley. Son caractère et ses goûts répondent à la virilité de son nom. Elle a toutes les élégances de la femme, toute la résolution de l’homme. En voyant cette fine et vaillante créature, d’esprit si libre, de volonté si hardie, d’allures si cavalières, ses amis l’appellent en riant le capitaine