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du revenu dérivait de la nature du gouvernement et de l’état de la société, elle n’a jamais réalisé cet idéal, que l’on cherche de nos jours, de la justice distributive.

L’impôt du revenu est, sous une autre forme, la question de l’impôt unique. Si l’impôt du revenu a le mérite, en effet, de se proportionner seul exactement aux facultés des contribuables, s’il est le seul juste, le seul qui se perçoive aisément et à peu de frais, il doit nécessairement remplacer tous les autres. Je le conçois comme un système exclusif dominant avec la rigueur d’un principe ; il ne s’expliquerait plus, accepté à titre d’accident fiscal et d’auxiliaire. Quand on saisit directement le revenu pour lui faire payer tribut au moment même où il se forme, on s’interdit de chercher encore à taxer indirectement les ressources individuelles, en incorporant un ou plusieurs impôts au prix des objets de consommation. Qui voudrait se soumettre aux exigences de l’income tax, s’il ne devait pas être affranchi, au moyen de ce sacrifice, des péages que lève l’impôt indirect sur les denrées et sur les marchandises ? Combinée avec d’autres principes et ajoutée comme une surcharge à d’autres taxes, toute contribution assise sur le revenu ne représente plus qu’une véritable exaction.

La théorie de l’income tax équivaut donc rationnellement à la théorie de l’impôt unique. Au XVIIIe siècle, cette querelle avait un autre nom. Les physiocrates voulaient alors ramener toutes les taxes à l’impôt foncier, prétendant qu’il n’y avait d’autre source de la richesse que la terre. Turgot lui-même, qui connaissait pourtant la valeur créatrice du travail, n’admettait pas que l’industrie eût des revenus qui lui fussent propres, ni qu’on pût l’imposer à raison de ses profits[1].

La même idée est au fond des disputes plus récentes qu’a soulevées parmi les économistes la comparaison de l’impôt direct avec l’impôt indirect. Les partisans des taxes de consommation ont eu long-temps pour eux la vogue des doctrines et la sanction d’une pratique à peu près universelle. Douanes et droits réunis, taxes sur les denrées de première nécessité et sur les matières premières aussi bien que sur les objets de luxe, l’esprit fiscal des gouvernemens n’a rien laissé à inventer. Il n’en est pas un qui n’ait abusé de la facilité avec laquelle on peut taxer les besoins du peuple. On a imposé et surimposé les boissons, le sel, la mouture et jusqu’à l’air que respirent le cultivateur et l’ouvrier. En Angleterre, les taxes indirectes ont long-temps fait seules les frais du budget de l’état. En France, la restauration qui avait promis témérairement il est vrai, d’abolir les droits réunis, s’empressa

  1. Voici les paroles de Turgot : « L’imposition du vingtième d’industrie me parait en général assez mal entendue. L’industrie n’a que des salaires ou des profits qui sont payés par le produit des biens-fonds et qui ne forment point une augmentation dans la somme des revenus de l’état. »