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voit, nous avons lieu de remercier M. Proudhon. En démolissant, à l’aide de sa dialectique railleuse, les radicaux, les socialistes, les démagogues, il abrége singulièrement notre tâche : il ne nous laisse plus à réfuter que lui-même. Que dis-je ? par ce veto magistral qu’il oppose à tout ascendant d’une intelligence individuelle sur d’autres intelligences, il nous autorise d’avance à tourner contre lui son propre langage, à puiser, dans chacune de ses pages, la réfutation de son livre, et à profiter de ce qu’il nous ordonne de ne rien croire, pour ne pas croire un mot de ce qu’il écrit. Nous devons l’avertir que nous sommes décidé à user de la permission, et qu’il serait très inconséquent s’il y trouvait à redire. Si son orgueil s’en offense, sa logique doit s’en accommoder : or, qu’y a-t-il de supérieur à l’orgueil de M. Proudhon, si ce n’est sa logique ?

Encore une fois, cela est-il sérieux ? Faut-il discuter ce long monologue où éclate, plus nettement que tout le reste, le personnalisme le plus effréné ? Faut-il y voir le déplorable indice d’un nouveau progrès, d’une nouvelle phase dans les empiétemens de l’esprit égaré par la vanité ? Aux grandes et belles époques, l’individu, l’écrivain disparaît presque et se cache dans les vérités qu’il défend, dans les pensées qu’il proclame, dans l’ordre harmonieux et immortel auquel il concourt par les généreux efforts de son génie. Plus tard, aux époques qui se corrompent ou s’amoindrissent, l’individu se montre plus complaisamment et occupe une plus grande place dans son œuvre. Au lieu de faire des grandes pensées et des sentimens vrais de l’homme une sorte de centre magnifique vers lequel tendent sans cesse les facultés de son esprit et de son cœur, il fait de son cœur et de son esprit l’éblouissant foyer où se fond et s’absorbe, pour y briller d’un plus vif éclat, tout ce qui honore l’ame et l’intelligence humaines. C’est le moment des confessions, des monographies, des confidences, telles que notre siècle et le siècle dernier nous en offrent de célèbres exemples. Arrive enfin le dernier degré, l’échelon suprême de cette spirale d’orgueil, celui où l’homme, enivré de lui-même, dédaignant de se faire le point de ralliement, le résumé glorieux des sentimens et des idées de son temps, s’isole de tout ce qui n’est, pas lui, creuse un abîme entre sa pensée et le reste de l’humanité, ne veut d’autre temple que des décombres, et aime mieux régner : sur la solitude que sur la foule. De Bossuet à Rousseau, de Rousseau à Lamartine, de Lamartine à M. Proudhon, n’y a-t-il pas, dans ces usurpations successives de l’esprit individuel sur l’ame universelle, une gradation instructive et effrayante ? Peut-être est-il permis de le remarquer ; peut-être, au contraire, vaudrait-il mieux ne pas faire à M. Proudhon l’honneur de le traiter comme un anneau de plus dans la chaîne de nos travers, et ne voir en lui qu’une exception monstrueuse ont un prodigieux charlatan. Peut-être conviendrait-il de chercher sa pensée véritable dans la dernière page de son livre, invocation à la douce, pure et chaste ironie, sa compagne fidèle, qui le protége, assure-t-il, contre toute espèce de préjugé entre autres contre l’adoration de lui-même. Dans cette page significative, l’auteur, après nous avoir dit fort généreusement qu’il ne manque à notre génération ni un Mirabeau, ni un Robespierre, ni un Bonaparte, affirme avec regret qu’il lui manque un Voltaire. Ce n’est que trop vrai : Voltaire nous manque. M. Proudhon aurait-il par hasard la prétention de le remplacer ? Ceci changerait la question, et nous présenterait M. Proudhon sous un tout autre aspect. Seulement, s’il fallait accepter les Confessions d’un. Révolutionnaire comme la