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pas égales. À quoi tient, dira-t-on, cette désastreuse inégalité de chances ? Elle tient à ceci : c’est que les partis sont vaincus, mais qu’ils ne sont jamais désarmés. L’ennemi battu se réfugie dans les lois comme dans un asile, y refait à loisir ses forces, et, une fois rétabli, il revient offrir le combat, espérant toujours saisir un moment où la société sera prise en défaut. Ce jour-là, l’affaire de la société sera faite. Les hommes qui seront les maîtres de sa destinée sont ceux qui ont juré de ne respecter les droits de la famille et de la propriété que dans la mesure des besoins actuels. Dans le texte originel du serment, il avait été dit que les droits de la famille et de la propriété dérivaient de la nature des choses ; mais, cela ayant paru trop conservateur, le texte définitif a dit qu’il ne fallait respecter la famille et la propriété que dans la mesure des besoins actuels. C’est plus commode.

Nous respectons sincèrement les droits de la défense ; mais nous sommes convaincus que c’est surtout dans l’exercice de la profession d’avocat qu’il faut se souvenir de ces belles paroles de saint Bernard : Esto sollicitus circa custodiam ordinis, ut ordo te custodiat ; gardez l’ordre, si vous voulez que l’ordre vous garde. La défense peut beaucoup dire ; mais elle ne doit pas devenir accusatrice ; elle doit respecter le caractère des témoins qui déposent devant la justice, ou, si elle croit de son devoir d’attaquer le caractère de quelques témoins, elle doit le faire avec réserve et s’abstenir soigneusement de toute déclamation violente et pompeuse. La défense a-t-elle toujours gardé cette exacte mesure ? C’est au barreau même que nous nous adressons, non pas au barreau de la défense ; nous nous adressons à tout le barreau de Paris. Pourquoi le barreau de. Paris n’a-t-il pas pris fait et cause quand la défense de Versailles s’est prétendue injuriée ? Pourquoi la protestation n’a-t-elle eu pour chef et pour organe que M. Crémieux ? Il nous est permis de croire que, quand une grossièreté a répondu à une déclamation, quand la caserne a riposté au club, le barreau n’a pas cru dans ce débat.

Nous avons entendu un vieux professeur de rhétorique soutenir qu’après avoir longtemps cherché comment le corps-de-garde pouvait répondre au club, il n’avait rien trouvé de mieux que ce qui avait été dit. Songez en effet à la différence de langue des deux sortes de personnes que le débat mettait en présence, l’homme habitué à toujours déclamer, l’homme habitué à toujours agir, la parole pompeuse, le sabre hardi et décisif. Si l’un se permet tout dans sa langue solennelle et creuse, s’il pousse la métaphore jusqu’à l’injure, que fera l’autre ? Ne pouvant pas répondre dans le même idiome et opposer métaphore a métaphore il est forcé d’en revenir à l’apostrophe, et il la fait grossière pour la faire énergique. Nous n’excusons pas la grossièreté ; mais nous ne croyons pas non plus qu’il suffise d’être déclamatoire pour n’être pas grossier. Il n’y a pas d’injures que dans les corps-de-garde ; il y en a partout, et elles ont beau porter la robe et le bonnet carré, cela ne les cache pas.

Ce qui nous fait vivement regretter les scènes de turbulence qui ont signalé ce procès, c’est que, dans nos temps de guerres civiles, nous craignons toujours que la justice ne renonce quelque jour à l’œuvre qui lui est demandée, et que les tribunaux militaires ne remplacent les tribunaux civils, de même que l’épée a remplacé dans la place publique le bâton du constable. Un changement appelle l’autre, et quand la loi ne suffit pas à trancher les débats de la