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politique, le magistrat ne suffit pas non plus à réprimer les délits politiques. En parlant ainsi, nous ne nous défions pas du courage et de la fermeté de la magistrature française : ce sont chez elle des vertus de tradition ; mais la magistrature de nos jours ne rend pas seule la justice, et nous comprenons dans les interprètes de la justice les jurés qui jugent le fait, et même les témoins qui viennent en déposer. Sans la fermeté des jurés et sans la sécurité des témoins, la justice est impossible, et c’est par là, nous le craignons, que s’ébranlera chez nous la justice. Quand les jurés penseront qu’ils pourront quelque jour être recherchés pour leur verdict, ou quand leur famille le pensera autour d’eux et les détournera de l’accomplissement de leurs pénibles devoirs, quand les témoins sauront qu’ils ont à lutter à l’audience contre une armée d’avocats soutenue d’une armée d’accusés, quand une déposition sera sinon un péril, du moins un combat, quand les gardes nationaux qui ont combattu dans la rue insurgés, et qui les ont combattus avec des balles anonymes, seront forcés de venir les combattre encore à l’audience, et entendront leurs noms répété par tous les échos de la presse, alors les tribunaux militaires, où le juge siége l’épée au côté et où cette épée fait respecter le magistrat et le témoin qui dépose devant lui, les tribunaux militaires seront la seule justice politique possible.

Quand nous parlons ainsi, nous souvenant de quelques-unes des séances de la haute cour, ce n’est pas que nous entendions révoquer en doute la fermeté des magistrats et des jurés de la haute cour ; nous dirons même à ce sujet qu’à mesure que les accusés, et surtout les défenseurs, se sont montrés plus violens et plus provocateurs, à mesure la haute cour s’est montrée plus ferme et plus digne. Ce contraste a surtout éclaté dans les dernières séances. On sait comment la défense, par une résolution qui pourrait passer pour une combinaison, a prétendu plaider une thèse impossible, la thèse de l’insurrection. Évidemment les avocats du 13 juin, ou se repentaient de n’avoir pas assez attiré l’attention publique sur eux et sur leurs cliens et voulaient faire un grand bruit en finissant, ou ils ne voulaient pas plaider, tout en donnant à leur silence l’éclat d’une plaidoirie provoquante. Ils se sont donc concertés pour plaider que l’insurrection du 13 juin était une insurrection légale. C’est ce que la déclamation aux abois appelait dresser une vaste tente pour abriter la défense. En vérité, la tente de Me Michel de Bourges ne devait pas servir seulement d’abri à l’insurrection du 13 juin, mais à toutes les insurrections passées, présentes et futures. À ce compte aussi, si l’insurrection du 13 juin était légale, la haute cour était illégale. L’avocat-général, M. de Royer, a réfuté avec un grand talent cette théorie sage de l’insurrection légale. S’il suffit, en effet, que quelqu’un s’avise de croire que la constitution est violée, pour qu’aussitôt on ait droit de s’armer et de commencer la guerre civile, supprimons la constitution, les lois, les tribunaux, et fondons des balles. Il n’y a plus ni bien ni mal dans ce monde ; il n’y a plus que des batailles perdues ou gagnées. M. de Royer ; a si bien réfuté cette théorie grossière, que Me Michel de Bourges, en lui répondant, a dit que M. l’avocat-général avait sans doute été prévenu d’avance du plan de la défense, qu’il s’était préparé, et que c’est pour cela qu’il avait si bien parlé. Plaisante naïveté ! et qu’il finit relever comme un trait des mœurs du parti : d’abord défiance et soupçon au sein du parti, et par conséquent ail sein de la défense. Il y a eu parmi les avocats du 13 juin un faux frère qui a prévenu M. de Royer : de