Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/879

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

solder, et quel meilleur moyen, dans les circonstances actuelles, de rappeler la confiance et de relever le crédit que d’assurer par le travail l’existence de cinquante mille familles ? Le crédit vit et prospère par le calme des esprits, par la sûreté des transactions, par la régularité et le progrès des recettes publiques, et tout cela ne peut être que le fruit de l’abondance du travail, accru et développé par les grandes entreprises d’utilité générale.

Et puis, n’y a-t-il pas quelque distinction à faire dans la dette publique ? Jefferson ne voulait pas que l’état pût s’engager pour une durée qui excédât dix-neuf ans ; il entendait, qu’on limitât chaque emprunt à la vie moyenne de la génération qui l’avait contracté. C’est, à coup sûr, pousser loin le rigorisme ; mais, s’il est vrai que trop souvent les dettes publiques blessent la justice en faisant payer à l’avenir non seulement les malheurs, mais aussi les fautes, et quelquefois les folies du présent, il faut reconnaître au moins que les emprunts consacrés aux travaux utiles, échappent à ce reproche. Pour ceux-ci, avec les obligations que lui impose la dette, chaque génération nouvelle reçoit le capital qui la représente, et elle en tire un profit égal à celui de la génération qui a contracté, le plus souvent même un profit supérieur, à cause des richesses et des ressources multiples qui ont été la conséquence de la création première.

La dette publique de la France au 24 février 1848 était en tout, dette flottante comprise, de 5 milliards ! lourd fardeau sans doute, imposé au gouvernement républicain par tous ceux qui l’avaient précédé : monarchie absolue, république, empire, restauration, gouvernement de juillet. Si lourde qu’elle soit pourtant, la dette ne saurait être mise en balance avec ces innombrables ressources dont la génération actuelle dispose, et qui ont été accumulées par les efforts continus des générations qui l’ont précédée. C’est ainsi qu’on doit envisager le bilan de la société, quand il s’agit d’apprécier sa situation et le poids des engagemens qui la grèvent. C’est faute de l’avoir fait, que le ministre des finances du gouvernement provisoire « s’est arrêté déconcerté devant la disproportion des capitaux de la dette avec les résultats[1]. » En vérité, ma surprise serait toute contraire, et j’admire profondément les ressources du pays qui, depuis un demi-siècle, à travers tant de révolutions, de crises douloureuses, a pu faire face à des dépenses toujours croissantes et augmenter en même temps ses richesses, que sa dette prit des proportions intolérables ; ce qui me déconcerte et me confond, c’est qu’il ait suffi de quelques jours de certaines théories de gouvernement et de certaines conceptions financières, pour paralyser de si prodigieuses ressources. Le mal est fait aujourd’hui, et, encore une fois, on n’en sortira que par l’achèvement des grands travaux utiles, qui ont une action directe sur l’activité du commerce, de l’industrie, et par suite sur l’accroissement du revenu public. Dans quelle mesure convient-il aujourd’hui d’aborder cette grande tâche ? Là est toute la question, là est le problème que le gouvernement provisoire et la constituante lèguent à peu près intact au gouvernement actuel.

  1. Rapport de M. Garnier-Pagès au gouvernement provisoire en date du 9 mars 1848.