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le fait comme on le veut. La république légale n’a commencé que le 5 mai 1848 par la proclamation qu’en a faite l’assemblée constituante. Jusque-là, nous étions dans le chaos ; le monde n’était pas né, et personne n’était tenu de dire : Et vidit Deus quia erat bonum.

Cette liberté que nous tenons de la bouche de M. Ledru-Rollin, le jour où il a bien voulu qualifier le 24 février de simple fait, et le livrer, à ce titre, aux disputations du monde, la montagne veut nous la reprendre. Et comme M. Dupin, bon gardien des droits de la libre discussion, résiste avec une admirable énergie cette intolérance, la montagne alors proteste contre le président, et elle le déclare atteint et convaincu de partialité. La montagne en effet ne veut pas avoir tort : c’est là le trait caractéristique du parti. Il est violent, il est ignorant, mais il a surtout la vanité de Satan ou de la suite de Satan ; car, de bonne foi, pour être de grands démons, il faudrait que les montagnards eusse commencé par être quelque part de grands anges : or, ils n’ont jamais eu le premier rang nulle part, et c’est pour cela qu’ils veulent le ravir partout. L’orgueil des incapables est le plus féroce de tous.

En face de cette tyrannie toujours prête, toujours menaçante, le parti modéré voudra-t-il s’affaiblir par la division ? Voudra-t-il entrer sourdement en lutte avec le pouvoir exécutif ? Le pouvoir exécutif voudra-t-il porter peu à peu atteinte au légitime ascendant du pouvoir législatif ? Si on veut se désunir, rien n’est si facile ; la constitution de 1848 s’y prête admirablement. Elle a oublié qu’un gouvernement doit être organisé de manière à produire une action commune. Elle a fait un pouvoir exécutif qui peut se passer du pouvoir législatif, elle a fait un pouvoir législatif qui peut se passer du pouvoir exécutif. La constitution de 1848 est un recueil de chapitres plus ou moins ingénieux ; ce n’est pas un livre. Le gouvernement qu’elle a créé est un gouvernement bicéphale ; or, il n’y a rien qui ressemble si fort à n’avoir pas de tête que d’en avoir deux. Avec une pareille constitution, où le dissentiment est si aisé et où rien n’avertit de la nécessité de l’union, il faut que les vertus des gouvernans remédient aux fautes du gouvernement.

Le parti modéré serait d’autant plus mal venu à ne pas avoir en ce moment la fermeté et la patience nécessaires à la situation qu’il a beaucoup à faire, et qu’il a les moyens de le faire. Nous n’avons guère besoin de développer cette pensée. Le pouvoir n’est pas créé : il flotte encore dans le vide qu’a fait la révolution de février. Il faut en reconstituer l’idée et le respect ; il faut rendre à la société la sécurité, ou plutôt il faut lui rendre l’ordre. Nous savons bien que chaque parti entend ce mot à sa façon ; mais nous savons aussi que, quoique chaque parti se fasse un idéal différent de l’ordre, il y a cependant entre les différens types de l’ordre des traits communs, et c’est à ces traits que nous nous attachons. Demandez au légitimiste, au bonapartiste, à l’orléaniste, comment il veut reconstituer le pouvoir en France : chacun vous dira aussitôt un nom propre ; mais, si vous lui demandez de laisser de côté les noms propres, chacun alors reconnaît qu’un pouvoir électif tous les trois ans et qui dépend des caprices de l’opinion universelle n’est pas un pouvoir capable de servir de noyau à la société ; chacun reconnaît que le suffrage universel, tel qu’il est constitué, ne peut être qu’un instrument de brusques révolutions et non pas de salutaires réformes.