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chez nous, contre le lierre qui festonne les remparts. Ils ont respecté le monument historique, sans croire pour cela manquer à leur mission. Des cerisiers fleurissent sur les plates-formes ; les chèvres se dressent le long des murs pour brouter les ronces qui s’y suspendent. Grace aux soins intelligens de ceux qui veillent à sa conservation, ce château si vieux n’a rien perdu de sa physionomie primitive, et cependant il n’y manque pas une seule pierre.

Au pied du fort, à l’ombre de ses gigantesques tours, se creuse une baie sablonneuse bordée de maisons. C’est le port, de Gorey, port très animé pendant les six mois d’hiver que dure la pêche des huîtres. À cette époque, des centaines de barques anglaises, venues des différens ports de la Manche, exploitent le banc qui s’étend le long de la côte méridionale de l’île précisément en face et à dix lieues environ de celui de Cancale. Vers les premiers jours de mai, à la fin de la pêche, toutes ces chaloupes qui se disposent à retourner en Angleterre sont rangées en files serrées aux abords des quais. Le port est plein à ne pouvoir contenir un canot de plus. En tête de l’innombrable escadrille, qu’il dépasse de toute la hauteur de ses sabords, se balance fièrement quelque beau cutter de sa majesté, reconnaissable à sa longue flamme rouge, au cuivre brillant de sa carène, à sa mâture robuste et élégante couverte d’immenses voiles. Ce petit bâtiment de guerre est chargé, de la police des côtes, service actif qu’il partage avec un steamer. À son bord, règnent la discipline, l’ordre, la propreté ; mais parmi les pêcheurs, liberté de manœuvre, comme disent les matelots. Ils se précipitent à terre, coiffés du bonnet de laine, chaussés de larges bottes, courant dans les cabarets remplir leurs cruches et leurs bidons d’eau-de-vie à bon marché. Hélas ! ils vont quitter ces ports francs ou l’on s’enivre tous les jours sans se ruiner. Aussi pour la dernière, cette orgie sera terrible. Si vous ne craignez ni l’odeur du tabac ni les chants rauques du marin anglais en goguette, entrez à la taverne, allez voir comme on se dédommage en quelques heures de six mois d’un rude travail. Un grand feu de charbon de terre brille dans la cheminée, et la température devient étouffante. Tant mieux ! la chaleur donne soif. « Always thirsty and plenty brandy, toujours altéré et de l’eau-de-vie en abondance : » tel est le rêve du soldat irlandais et du matelot de joutes les nations. La servante effarée court d’une table à l’autre, son broc à la main ; elle est là en mauvaise société, la pauvre fille. On dirait un poisson volant tombé dans une bande de souffleurs. Les tables tremblent sous les coups de poing, et quels poings ! Les chants se mêlent aux cris et aux jurons, car John Bull a le vin bruyant. C’est un vacarme d’enfer. Un chanteur émérite entonne une de ces chansons interminables, qui réclament un hourra général à la fin de chaque couplet, Bientôt le hourra, répété par des