Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/958

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hougueby, à cause de la beauté de sa position, a le malheur d’être un lieu banal ; quand on a une fois visité la tour, on n’y revient plus. Pour que l’esprit ne se blase pas sur les plus beaux tableaux de la nature, il faut qu’ils se présentent à l’œil sans apprêt, sans le secours de ces observatoires faits de main d’homme et avec le charme de l’imprévu.

Grace à Dieu, l’île offre à chaque pas de ces points de vue d’une souveraine beauté qui reposent l’ame et réjouissent le regard. Si l’on veut prendre par Longueville pour rentrer à Saint-Hélier, on pourra sans fatigue, un livre à la main, les pieds sur une route sablée, la tête à l’ombre des haies fleuries, gravir un coteau du haut duquel on embrasse tout le profil de Jersey du côté du midi, et c’est le plus beau. Derrière soi, on a le château de Montorgueil,qui se découpe en noir sur les flots et sur le ciel. Les hauteurs de Woodland (le pays boisé), couronnées d’arbres à haute tige, dominent le village, la baie et les dunes de Gorey, et viennent relier aux douces vallées de l’intérieur de l’île les rochers arides qui portent la forteresse sur leur croupe. Devant soi, par-delà des plaines qui aboutissent à la mer, et à l’extrémité des coteaux chargés de plantations d’un goût exquis sous les quelle s’abritent de ravissantes maisons de campagne, on voit la citadelle de Saint-Hélier et ses mornes glacis embrumés dans les fumées de la ville. Ce fort moderne, dénué de pittoresque, sans tour, sans bastion, sans donjon crénelé, est aujourd’hui la clé de l’île et la défense de la capitale ; mais comme il est triste en regard de la vieille citadelle qui, après avoir été le boulevard de Jersey, en est encore aujourd’hui le plus précieux ornement !

La troisième route, celle qui passe par Saint-Clément et Grouville, est plus longue et moins accidentée, mais elle a son charme de détails. Les deux lieues qu’elle parcourt permettent à l’observateur d’étudier, dans sa naïveté un peu coquette, la vie des champs telle que les Anglo-Normands la comprennent. La vie des champs ! mot vide de sens pour nous. En France, on n’aime guère la campagne, quoi qu’on en dise, si ce n’est au premier mois de la chasse, et quand les amis ont déserté la ville. À Jersey, et nous pourrions ajouter dans tous les pays anglais, on possède à un haut degré le sentiment et le goût de cette existence paisible, retirée, qui consiste à vivre en famille, avec des livres, entre les fruits de son verger et les fleurs de son parterre ; de là ces innombrables habitations qui représentent toutes les nuances de fortune. Et d’abord, depuis le plus simple cottage, dont la cour modeste a pour ornement deux ou trois houx, jusqu’à la villa prétentieuse assise au milieu des lauriers et des sycomores, toutes ces maisons de campagne ont leur corbeille de fleurs. Les fleurs on un attrait particulier pour les Jersyais ; en leur qualité d’insulaires, ils tiennent à