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de la civilisation anglaise. Je n’avais pas assez d’yeux pour cette ville sans fin, dont l’existence, comme problème social, étourdit l’esprit de la même façon que certaines vérités astronomiques : qui renferme deux millions d’habitans et qui na point de ruisseaux ; pour ce luxe solide dont parle Montesquieu, fondé, non pas sur les raffinemens de la vanité, mais sur celui des besoins réels ; pour cet ordre prodigieux dans une multitude infinie, où, comme en une fourmilière, la première vue n’aperçoit que confusion et cohue, mais où la seconde distingue chaque fourmi se traçant son chemin à travers la foule, et passant où il ne semblait pas qu’il y eût jour à passer.

Nous étions à six années seulement de la révolution de 1830. Nous avions cru y voir une victoire de la loi sur l’arbitraire, une famille royale sacrifiée au principe de la royauté constitutionnelle, un vieux roi destitué de ses fonctions comme Jacques II, pour avoir violé le pacte qui le liait à la nation. Nous étions même fiers d’avoir pu muter, dans un de ses plus grands actes, la nation la plus libre et la plus conservatrice de l’Europe, et de l’avoir imitée en gardant notre manière, en respectant dans le vieux roi la sincérité de son aveuglement, et en le faisant reconduire par d’honnêtes gens à la frontière, non en roi chassé, mais en chef de gouvernement dont les sentimens étaient compatibles avec ceux de sa nation. Qu’avions-nous alors à envier à l’Angleterre ? Nous avions sa, monarchie constitutionnelle, moins le prix énorme dont elle nous paraissait la payer, moins le droit d’aînesse, moins la dîme, moins les dotations de sa haute église, moins les compartimens hiérarchiques dans lesquels ses classes sont parquées. Il ne nous manquait donc que de nous entendre aussi bien qu’elle, en industrie et en commerce, que d’avoir des villages mieux bâtis, des routes moins monumentales et mieux entretenues, moins de ruines, à côté des choses achevées, Paris plus digne de ses monumens, un luxe où il entrât moins de clinquant. Nous pouvions bien prendre des leçons de l’Angleterre pour tout ce qui regarde le bien-être du corps : mais en fait de grandeur morale, c’est elle qui avait à apprendre quelque chose de nous.

En 1849, il n’est pas besoin d’être un pessimiste pour avouer qu’il nous manque quelque chose de plus qu’en 1836, et que les avantages de ’Angleterre sur la France ne se réduisent pas seulement à un peu plus de bien-être pour le corps. Puisqu’il n’est pas encore généralement convenu que la république a été un progrès, nous pouvons dire, sans être de mauvais citoyens, que nous avons perdu la monarchie constitutionnelle imitée de l’Angleterre et perfectionnée, sans rien gagner de ce qu’elle appelle fièrement son comfort, mot qui était presque devenu français avant février 1848. Comment en sommes-nous arrivés là, et comment l’Angleterre est-elle restée ce que je l’ai vue en 1836,