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à 200 francs ont envoyés tout cet été en Angleterre[1]. La plupart commençaient par se choquer de tout, même de ce que tout le monde n’y parlaient pas français. Nous sommes la nation où l’on a dit ce mot si impertinent et si charmant : Peut-on être Persan ?

Un peut nombre seulement osait admirer à Londres ce qui est digne d’y être admiré. En regardant les usages de plus près, ils en voyaient les motifs dans le climat ou dans les mœurs. C’était du bon sens ; mais, leur qualité de Français, ils ne tardaient pas à y trop abonder, et ils devenaient plus Anglais que les Anglais eux-mêmes. Ils accablaient la pauvre France de toutes ses infériorités, voire de celles de nos fiacres comparés au cab anglais. C’étaient pourtant de fort bons Français ; mais il leur peinait qu’on travaillât plus chez nous à se passer de gouvernement qu’à y rendre la vie plus douce et plus facile par le pacifique progrès du commerce et des arts industriels. Il y avait dans leur sentiment de l’émulation avec une pointe de chagrin ; ils en voulaient à la France, à eux-mêmes, des avantages de l’Angleterre, et ils étaient prêts à calomnier leur pays par dépit de ne pas le voir en tout au premier rang.

Si mon voyage en Angleterre eût été le premier que j’y eussé fait, et qu’il n’eût duré que huit jours, j’aurais vraisemblablement pensé comme ces gens-là, et je serais revenu de Londres avec un vif dépit contre Paris ; mais trois voyages depuis 1830, et en dernier lieu, un assez long séjour, m’ont préservé de l’excès qui fait de ceux-ci des anglomanes et de ceux-là des Français intolérans. Quand on a passé un assez long temps chez une nation étrangère, on.y devient plus juste pour elle, en même temps qu’on sent augmenter son amour pour son pays. C’est par raison que nous sommes justes envers un pays étranger, et c’est par sentiment que nous aimons le nôtre ; or, il n’y a pas de risque que, chez un Français, le sentiment cède jamais à la raison.

Parmi les avantages réels ou apparens qu’un pays peut avoir sur un autre, le voyageur remarque d’abord ceux qui manquaient à son pays au moment où il l’a quitté. J’en ai fait l’expérience à deux reprises. En 1836, je ne trouvais à admirer en Angleterre que la supériorité de son industrie ; je n’y remarquais que le contraste de ses villages si propres et si rians, qui semblent des fabriques semées à dessein dans un paysage pour faire point de vue, et de nos villages de bouc et de chaume ; de ses routes unies comme des allées de jardin, où l’on peut se croire toujours à la promenade, et de nos grandes routes monumentales, qui semblent allonger le chemin ; de ce je ne sais quoi d’inachevé et d’incomplet qui marque la civilisation en France et de la perfection

  1. C’est une entreprise digne d’encouragement, qui a tenu toutes ses promesses, et qui rend aux deux peuples le service de les mêler.