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moyens de transport. Ki-chan avait tout prévu et tout arrangé. Un mandarin et une escorte assez nombreuse devaient veiller sur eux.

Le mandarin chargé d’accompagner MM. Huc et Gabet n’étant pas encore prêt, les missionnaires purent assister à la célébration du nouvel an à H’Lassa. D’après la chronologie thibétaine, le renouvellement de l’année tombe au mois de mars. Il est là, comme partout, une occasion de réjouissances publiques et privées ; il faut être bien pauvre pour n’avoir pas alors sur sa table deux plats abondamment garnis, l’un de viande cuite et l’autre de viande crue ; ce dernier est celui que préfèrent les Thibétains de vieille souche : n’aimer que la viande cuite, c’est se plier aux usages chinois et manquer de patriotisme. Deux des cérémonies que ramène la célébration du nouvel an au Thibet méritent d’être signalées. Les Thibétains échangent comme nous des visites, mais ils y apportent plus de zèle ; dès minuit, ils quittent leurs maisons et se précipitent chez leurs connaissances. Au lieu de cartes, ils ont un pot rempli de boulettes fabriquées avec du miel et de la farine, c’est le louk-so ; ils offrent de ces dragées à tous les amis qu’ils rencontrent ; la politesse ordonne d’accepter. Cette fête fournit aux missionnaires l’occasion de remarquer qu’ils avaient des relations fort étendues. À minuit sonnant, on frappait à leur porte, et jusqu’à l’heure du déjeuner les visiteurs se succédèrent apportant tous du louk-so. Les fêtes du nouvel an durent dix jours ; le troisième est marqué par le commencement du H’Lassa-morou, c’est-à-dire par l’arrivée à H’Lassa des lamas de toute la province ; or, la province d’Oueï, où est située H’Lassa, compte trois mille couvens, et parmi ces couvens il en est trois qui renferment à eux seuls quarante-cinq mille lamas. Il n’y a ni logement ni vivres pour toute cette foule ; les lamas le savent, et chacun apporte ses provisions de bouche avec sa tente, qu’il dresse sur la place publique. Le H’Lassa-morou dure six jours ; c’est un désordre inexprimable. On est forcé de fermer les tribunaux et de renoncer à toute surveillance ; cet usage est certainement ancien, mais on ne peut dire au juste à quelle époque il remonte, les Thibétains ne mettant presque jamais de date dans leurs récits. Un lama très savant et très renommé, auquel les missionnaires firent une remarque à ce sujet, leur répondit : — Pourvu qu’on sache ce qui s’est passé dans les temps anciens, c’est l’essentiel. À quoi bon connaître la date précise des événemens ? Quelle utilité y a-t-il à cela ?

Il fallut partir enfin. Au dehors de la ville, un groupe assez nombreux attendait les voyageurs ; il était composé de leurs amis les plus intimes, de ceux qui avaient commencé à s’instruire des vérités du christianisme ; ils s’étaient rassemblés pour offrir aux lamas du ciel d’Occident le khata d’adieu. MM. Gabet et Huc adressèrent à ces cœurs déjà chrétiens des paroles de consolation et d’encouragement, mais ils