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mois vaincus et immolés, ne laissant pour traces de leur passage aux affaires que des menaces sans résultat et des discours sans conclusions.

Par entraînement et par faiblesse, les girondins se laissèrent imposer une politique qui n’était au fond ni celle de leurs commettans, ni la leur propre. Partis de leurs provinces ardemment dévoués à la constitution de 91, comme l’étaient alors le commerce, le barreau, la banque et toutes les professions libérales, ils avaient reçu et accepté la mission formelle de maintenir la monarchie, de sauvegarder la constitution et de s’opposer à une révolution nouvelle. Cependant, à peine arrivés à Paris, ils se proclamèrent républicains avant même que l’on osât, aux Jacobins, prononcer nettement le mot de république. L’influence d’un petit groupe, jointe à l’attrait de la nouveauté sur des natures mobiles et oratoires, amena cette désertion de leurs idées et de leurs devoirs, qui fut à la fois le stygmate de leur caractère et la cause permanente de leur impuissance.


II

La coterie qui imposa ses haines et ses ambitions à de jeunes hommes plus avides de renommée que de pouvoir, plus enclins au bruit qu’à la colère, avait concentré toutes ses amertumes et ses plus égoïstes calculs sur une double formule : la guerre, pour achever de perdre le roi, en déchaînant contre lui toutes les suspicions populaires ; la république, pour écarter d’un seul coup toutes les renommées grandies à l’ombre du gouvernement constitutionnel, et qui faisaient obstacle aux prétentions nouvelles. Formée, aux derniers temps de la constituante, dans les salons de M. de Condorcet, cette coterie avait pour inspiratrice la célèbre et malheureuse femme qui a racheté les torts de sa vie par l’antique et sereine dignité de sa mort. Mariée à un écrivain diffus et médiocre, auquel son parti attribua la vertu pour spécialité, faute de pouvoir lui en assigner une autre, Mme Roland avait faussé son esprit et systématiquement desséché son cœur. Passée des onctueuses croyances de l’église aux raides enseignemens du portique, en poursuivant les vertus de l’autre sexe, elle avait perdu les plus précieuses qualités du sien. Piquée au seuil de sa jeunesse par le serpent de l’envie, un jour qu’elle aperçut de loin les pompes d’un monde dont la repoussait son obscurité, la fille du quai des Orfèvres porta jusqu’au tombeau la trace de cette venimeuse morsure, qui voua sa vie aux passions implacables, au point d’étouffer toute pitié dans son cœur pour les tortures d’une mère, parce que cette mère avait été reine !

Mme Roland fut la gloire et la fatalité de la gironde. Autour d’elle se groupaient l’ardent Buzot, esprit de fer et cœur de feu, qui puisait