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l’amour et l’enthousiasme dans ses regards ; le grave Pétion, qui s’inclinait devant la borne avec la respectueuse émotion d’un courtisan de l’OEil-de-Boeuf devant son maître ; le savant Condorcet, le plus avancé des philosophes du XVIIIe siècle, aux yeux duquel l’humanité était un organisme où la sève monte de génération en génération, comme elle monte dans les plantes de printemps en printemps. Condorcet voulait la république, non pas à la manière de Mme Roland, comme une vengeance, mais parce que la république différait de la monarchie, et qu’à ses yeux l’avenir, quel qu’il fût, était toujours et nécessairement un progrès sur le passé. L’homme d’action de ce groupe entreprenant était Brissot-Warville, aventurier littéraire, qui depuis vingt ans courait après les idées pour les mettre en brochure et les exploiter ; il avait successivement attaqué tous les principes, même celui de la propriété, et défendu toutes les causes, même celle du pouvoir, lorsque le pouvoir avait consenti à s’apercevoir de ses besoins. Brissot accueillit la révolution moins comme une bonne cause que comme une bonne occasion, et, ne pouvant conquérir une place à la tête du parti constitutionnel, dirigé par les illustrations parlementaires consacrées depuis trois ans, il entreprit de se la faire ailleurs par l’audace de sa pensée et l’activité de sa conduite. Le premier dans Paris il prononça le mot de république, lorsque Robespierre lui-même professait encore le culte de la constitution. On sait qu’après la fuite du roi il avait rédigé, pour demander sa déchéance, la pétition lacérée au Champ-de-Mars par les baïonnettes du général Lafayette. Devenu membre de la législative, il s’offrit pour initier les novices députés de la gironde aux formes et aux mystères de ce monde diplomatique dont lui du moins avait, dans quelques capitales, hanté les antichambres. Brissot fut la main du parti comme Mme Roland en fut la tête ; il n’y eut pas une de ses affirmations qui ne fût acceptée par ses amis, pas une de ses combinaisons à laquelle ils ne s’associassent aveuglément. Cet écrivain suggéra donc à la gironde toute sa politique, qui, selon la formule déjà indiquée, se résumait en deux mots : pousser le peuple à la guerre pour le pousser à la république ; faire proclamer la république pour n’avoir plus de concurrens dangereux dans le partage et l’exploitation du pouvoir.

Toutefois les convictions de ce cénacle d’ambitieux n’étaient pas tellement vives qu’on ne consentît à en suspendre l’application, lorsque le pouvoir survenait à ses membres par des voies plus faciles. Lorsque les ministres désignés par Brissot furent entrés dans le cabinet de Louis XVI, la propagande républicaine fat interrompue dans tous les journaux du parti et jusqu’à la tribune des jacobins. Durant trois mois, on parut envisager la constitution sous un jour tout nouveau, et l’on se montra même résolûment monarchique, en se mettant