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toutefois en règle avec l’avenir pour le cas assez probable où quelques scrupules religieux détermineraient le roi à changer de conseillers. Ce fut avec cette arrière-pensée que le vertueux Roland prépara, sous forme d’une lettre au roi, cet acte d’accusation anticipé destiné à demeurer secret tant qu’il garderait le pouvoir, et à éclater au lendemain de sa chute comme un pistolet dirigé au cœur du malheureux prince. Tant d’habile prévoyance ne fut pas trompée. Sommé d’autoriser l’appel sous les murs de Paris de vingt mille auxiliaires des clubs et de sanctionner la loi qui dévouait à l’exil et à la mort tous les confesseurs de sa propre foi, Louis XVI renvoya ses ministres, sachant fort bien qu’il allait donner aux conspirateurs des chefs implacables et des armes terribles.

À ce moment, le dernier jour de la monarchie fut marqué dans les conseils de la gironde. La vulgaire, mais âpre ambition du portefeuille fixa, en les irritant, des convictions jusqu’alors molles et flottantes. Barbaroux fut appelé à Paris avec ces bataillons méridionaux enivrés de soleil, d’enthousiasme et de fatigue, pour se préparer à faire le sac des Tuileries au signal d’anciens ministres tombés au rang de conjurés. Le maire Pétion, grand-maître des cérémonies de l’insurrection, reçut charge d’aller à la barre de l’assemblée législative réclamer la déchéance, escorté des hommes qui, l’année suivante, disputaient son corps aux vautours. À partir de ce jour, les ambitieux de la gironde se concertèrent étroitement avec les fanatiques de la montagne, et suspendirent jusqu’au succès la lutte antérieurement engagée. Condorcet, Brissot, Louvet, Gorsas et presque tous les publicistes de la bourgeoisie se mirent à la suite de Desmoulins et de Marat, ameutant à l’envi toutes les passions et toutes les ignorances pour creuser de sang-froid, à force de calomnies et de mensonges, ce gouffre de la stupidité publique au fond duquel les nations s’abîment. Les tribuns de la classe moyenne, prenant le thème de ceux de la démagogie, affirmèrent soir et matin sans sourcilier que Louis XVI et Marie-Antoinette, entourés aux Tuileries de leur comité autrichien et d’un parc caché de trois cents pièces de canon, avaient pris jour pour égorger le peuple de Paris, et ce peuple le crut aussi fermement qu’il crut, plus tard, que Charles X disait la messe et que Louis-Philippe exportait des tonnes d’argent.

On allait donc atteindre enfin la suprême conclusion de tous les sophismes et de toutes les fautes accumulés depuis trois années. L’on touchait à l’une de ces mystérieuses défaillances qui sont le châtiment et l’humiliation des grands peuples, et durant lesquelles de hardis factieux imposent leur joug à des majorités qui ont perdu l’énergie du cœur en perdant la droiture de l’intelligence.

Si la bourgeoisie parisienne ne concourut pas au 10 août, elle le laissa faire sans résistance par quinze cents Marseillais et quelques