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ses idées fixes jusqu’au donquichottisme en lui faisant prendre ce qu’il désirait pour ce qu’il pouvait. Ce fut là une des principales causes de ses extravagances, ce fut là aussi une des causes de l’action puissante qu’il exerça sur le monde par lui-même et par ses successeurs ; car, s’il avait en lui les illusions de ses contemporains, il avait également en lui presque toutes les tendances vivaces de sa race. Il était venu au moment où allait s’écrouler une ancienne civilisation, et dans sa nature se trouvaient entassés pêle-mêle une infinité de besoins qui n’avaient pas été satisfaits, et d’où devait sortir l’avenir, une infinité d’instincts qui déjà étaient développés et qui n’avaient point encore été définis et formulés. Les faits mêmes ont prouvé que, sous son exaltation se cachait quelque chose de profondément vrai, de profondément humain. Le don qu’il avait d’entraîner les masses n’est point, je le sais, un argument à invoquer. Il avait foi en lui-même, il se faisait fort d’accomplir l’impossible, et de tout temps les fanatiques qui ont promis de faire disparaître la misère ou le péché, en un mot de métamorphoser la terre en un paradis, n’ont jamais eu peine à passionner la foule ; mais Fox n’a pas seulement soulevé des passions pour qu’elles allassent bientôt se briser contre la nécessité : son œuvre à lui n’a pas été une fièvre suivie de mort. Après avoir séduit les ignorans par ce qu’elle avait de mensonger, la doctrine du berger de Drayton a su se faire adopter par des raisons clairvoyantes. Le quakérisme, pour tout dire, a survécu ; il avait donc un principe de vie.


II. — PRINCIPE DE QUAKERISME. — LES PREMIERS PROPHETES.

Ce principe, quel était-il ? Assurément ce n’étaient point les idées de Fox. On a beaucoup discuté sur son intelligence[1]. Bunyan, Prynne, Ch. Leslie, Bennet, et maints autres docteurs, ont écrit de gros livres pour démontrer qu’il n’était qu’un déiste, un hérétique néo-platonicien. À mon sens, ceux qui dans ses écrits ont ainsi cherché des opinions,

  1. Jusqu’à quel point ses nombreux écrits, épîtres et traités, ont-ils été rédigés par lui ou ses secrétaires, il est difficile de le dire. D’un côté, Guillaume Penn et Thomas Elwood, l’ami de Milton, portent aux nues le berger du Lancashire comme un homme d’une haute capacité et d’une inépuisable bonté ; de l’autre, Gérard Croes, le consciencieux auteur de l’Historia Quakeriana (Amsterdam M.DC.IVC.), et avec lui presque tous les écrivains contemporains, le représentent comme un enthousiaste mélancolique qui n’était pas capable d’écrire une lettre sans le secours d’un secrétaire. À l’égard de son style, le fait est que plusieurs fragmens qui semblent avoir été conservés tels qu’ils étaient sortis de sa plume sont tout enchevêtrés de phrases sans commencement ni fin. Ce qui paraît également hors de doute, c’est que ses œuvres, comme les Lettres des premiers Amis, n’ont été imprimées qu’après avoir subi de grandes modifications. Toutefois, si la forme de ses écrits a été changée, je ne doute pas que leur esprit n’ait été fidèlement conservé.