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et l’amener à croire ce qu’elle n’eût jamais pu découvrir, à respecter ce dont elle n’eût jamais pu reconnaître la nécessité et l’utilité, à craindre et à éviter ce dont ses yeux n’auraient jamais su apercevoir les dangers. Tandis que l’Europe entière n’avait d’admiration que pour l’indépendance, M. Carlyle a passé sa vie à glorifier l’obéissance et la foi ; il a compris et il a dit que la docilité était, sous un autre nom, la faculté d’apprendre ou de profiter de la science d’autrui ; tous ses ouvrages, en un mot, sont un hommage rendu à l’invisible protection que l’intelligence des intelligens étend sur les masses, et un plaidoyer pour demander que leur règne arrive. À ses yeux, les lumières répandues dans les sociétés ne peuvent leur profiter qu’à une condition : il faut que chacun fasse son métier, que chacun exerce les aptitudes qu’il possède, et qu’au lieu de décider sur tout, il apprenne à s’en rapporter à ceux qui en savent plus que lui.

Toutes ces idées, nous allons les retrouver dans les nouveaux pamphlets de M. Carlyle ; cette fois elles se précisent davantage, et avec elles C’est le temps présent qu’il vient juger. Le titre du premier de ses pamphlets indique nettement l’intention clé l’auteur. The Present T ime ! écrit-il en tête ; voyons donc comment M. Carlyle a instruit le procès de son époque.


I

Le temps présent ! est-ce une ère nouvelle de bonheur qui s’ouvre ? est-ce une ère d’expiation qui nous est envoyée pour nous faire abjurer nos folies ou nous anéantir, si nous ne profitons pas de ses leçons ? Terrible dilemme ! Pour le moment, la seule réalité bien certaine, c’est que la destruction est partout : des barricades, encore des barricades, des trônes renversés et de vieux pactes sociaux mis en pièces, voilà quelle a été l’œuvre de ces dernières années.

« On sait ce que la France devint après février (écrit M. Carlyle), et par une généalogie assez palpable on peut rattacher sa révolution au bon et simple pape avec son Évangile à la main… Bientôt, comme si le choc eût été transmis par des électricités souterraines, l’Europe entière ne fut plus qu’une explosion sans bornes, impossible à contenir, et nous eûmes l’année 1848, une des plus désastreuses, des plus stupéfiantes, et, somme toute, des plus humiliantes que le monde européen ait jamais vues. Depuis l’irruption des barbares du Nord, sa pareille n’avait pas existé… Partout la démocratie se leva incommensurable, monstrueuse, hurlante, rauque et sans voix articulée, comme le chaos… et ce qu’il y eut de particulier dans cette année, c’est que pour la première fois les rois se hâtèrent tous de s’en aller, comme s’ils eussent dit : C’est vrai, nous ne sommes que de pauvres histrions ; vous fallait-il donc des héros ? ne nous tuez pas, ce n’est pas notre faute.- Pas un d’eux ne se retourna pour faire face, debout et ferme sur sa royauté comme sur un droit pour lequel il serait prêt à