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que sur Sannazar. Les vers de Vida, dans les six chants de sa Christiade, me semblent avoir un grand inconvénient : ils se ressemblent tous, ils sont tous faits, pour ainsi dire, sur le même patron, ils rendent tous le même son. Dans Sannazar, malgré les anachronismes, il y a de l’inspiration poétique. Dans Vida, il y a les mêmes anachronismes, la même confusion de souvenirs païens et de traditions chrétiennes ; mais, au lieu d’inspiration poétique, je ne trouve plus que ce que j’appelle la rhétorique poétique. Je ferais dater volontiers de Vida l’introduction, dans la littérature du XVe siècle, de la paraphrase et de la périphrase. Ce sont là les deux grandes machines de la poésie de Vida. Tout est paraphrasé, c’est-à-dire que le récit a toujours une sorte de mouvement oratoire au lieu du mouvement libre et aisé de la narration ; et, comme si ce n’était pas assez d’altérer les événemens par cette perpétuelle paraphrase, de leur ôter leur caractère particulier pour les métamorphoser en lieux communs, la périphrase est là pour effacer le peu qui resterait de vérité. Ainsi, le mot propre disparaît perpétuellement sous la périphrase, comme l’événement sous la paraphrase. N’espérez plus trouver ici rien qui rappelle la simplicité naïve des scènes de l’Évangile : l’Évangile n’est qu’un texte oratoire.

Citerai-je quelques exemples ? J’ai raconté avec plaisir, je l’avoue, la description naïve que les évangiles apocryphes font des miracles qui accompagnent la fuite en Égypte. Déjà, dans Gerson, ces miracles étaient indiqués plutôt que racontés, et ils étaient devenus un sujet de réflexions plutôt que de descriptions. Dans Vida, ils se métamorphosent en descriptions presque banales, faites à l’aide d’hémistiches empruntés aux auteurs anciens :

Aurae omnes terrent pavidos, capitique timentes,
Tam caro ; at puero blandiri murmure silvae
Lauricomae, et ramis capita accurvare reflexis
Aurarumque leves animae indulgere susurro.

Les vers sont élégans, mais c’est une élégance vieille et morte. Il n’y a pas, dans Vida un miracle de Jésus-Christ enfant qui ne soit, pour ainsi dire, un plagiat des poètes anciens. L’auréole même que nous sommes habitués à voir autour de la tête du Christ n’est, dans Vida, qu’un reflet de cette flamme mystérieuse qui, dans le deuxième livre de l’Énéide, s’attache à la chevelure du jeune Jules[1].

À la paraphrase et à la périphrase, qui sont déjà les deux plaies de

  1. … Quoties sanctous expavimus ignes,
    Flammarumque globoes, et terrificos fulgores,
    Saepe quibus visus puer est ardere nitentem
    Caesariem, coeli dum splendet luce corusca ? (Lib. III.)