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ce poème, ajoutez l’allégorie, et une allégorie qui a toujours soin d’être une imitation de l’antiquité. Les personnages allégoriques me semblent avoir, dans les sujets chrétiens, un inconvénient tout particulier : Dans le paganisme, chaque vice et chaque qualité étaient déifiés, et, quand l’homme agissait, c’était d’après l’inspiration d’une de ces divinités. La liberté de l’ame humaine disparaissait sous l’ascendant de ces divinités fabuleuses. Le christianisme a rendu à l’ame humaine son indépendance et sa responsabilité. L’homme, dans le christianisme, agit en vertu de ses affections et de ses sentimens, et non plus d’après l’ordre de je ne sais quel dieu. Aussi l’introduction de personnages allégoriques dans un sujet chrétien devient une sorte de contradiction choquante. Pourquoi, en effet, faire intervenir une divinité là où l’homme suffit ? Que penser, par exemple, de Vida, qui, pour expliquer le reniement de saint Pierre et cette peur si naturelle et si humaine dont le fidèle apôtre est saisi quand il se trouve seul au milieu des serviteurs de Caïphe, que penser de Vida, qui évoque des enfers la Peur, divinité qu’accompagnent, dit-il, l’Engourdissement et la Lâcheté aux yeux baissés[1] ?

Jamais l’horreur du mot propre et l’effort pour trouver le mot prétendu élégant n’ont été poussés plus loin. On sait quelles ont été les bizarreries de ce paganisme littéraire du XVe et du XVIe siècles, en Italie surtout, quand l’excommunication devenait, grace au purisme, l’interdiction de l’eau et du feu quand les saints s’appelaient les dieux immortels, superi immortales ; quand le bon Dieu prenait le nom du Dieu très bon et très grand ; quand enfin des évêques, de peur de gâter leur belle latinité, obtenaient un bref du pape qui leur permettait de lire leur bréviaire en grec. Vida est de cette école de puristes. Dans ses vers, le Saint-Esprit, s’appelle Aura,

Aura, veni, afflanti Patris omnipotentis ab ore,

parce que, sans doute, le mot spirites, étant le mot théologique, n’est pas assez élégant. L’eucharistie devient le présent de Cérès, Cerealia dona ; enfin, quand Jésus-Christ, par le miracle de la multiplication des pains, a rassasié la foule accourue pour l’entendre, au lieu de dire le Sauveur ou Jésus, Vida le désigne par ces mots : Rex optimus,

Ut compressa fames, surgit rex optimus ipse.

C’est ainsi que, pendant tout le poème, la couleur chrétienne disparaît sous je ne sais quel vernis brillant, mais faux, emprunté à l’antiquité.

  1. Tristior haud ulla est umbrosis pestis in oris,
    Scilicet, atque hominum egregiis magis aemula coeptis ;
    Frigus ei comes, et dejecto Ignavia vultu.