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leur amour-propre national, tandis qu’il s’aliénait aussi, par cette préférence, l’esprit des Boliviens, ses plus chauds partisans. La Bolivie, en effet, n’était-elle pas réduite à un rôle secondaire ? Ainsi, de l’un et de l’autre côté, Santa-Cruz avait préparé sa ruine.


IV

La chute du gouvernement du général Santa-Cruz fait époque dans l’histoire du Pérou. Malgré ses fautes et ses erreurs, cet homme ne saurait être confondu avec les intrigans de bas étage, les fauteurs de révolutions militaires qui s’étaient succédé dans le gouvernement de ce pays. Supérieur à ces aventuriers par l’intelligence, Santa-Cruz l’était surtout par le sentiment national et américain. Uniquement préoccupé de la grandeur de sa patrie, il sut poursuivre son but, sinon avec toute l’adresse, toute la fermeté désirables, du moins avec une loyauté, une noblesse qu’on ne saurait méconnaître. Aussi a-t-il laissé dans les pays qu’il a gouvernés, et qu’il n’habite plus aujourd’hui, des souvenirs et des regrets qui avaient toujours manqué à ses prédécesseurs. Une période d’anarchie avait précédé la présidence de Santa-Cruz : une période non moins triste la suivit ; mais elle aussi devait aboutir à une ère de repos et de progrès. La chute du général Santa-Cruz, décidée, comme on l’a vu, par la perte de la bataille de Yungay, amena au pouvoir le parti dit restaurateur, et le général Gamarra fut proclamé président. Ce parti, dont les principaux chefs s’étaient unis un instant pour renverser le gouvernement établi, ne tarda pas à se diviser lui-même, et la seconde présidence du général Gamarra fut encore troublée par plus de désordres et de tentatives insurrectionnelles que la première.

Les amis de Santa-Cruz, bien que déconcertés un instant, étaient nombreux et puissans encore, et, en Bolivie particulièrement, l’ex-protecteur pouvait conserver l’espérance de ressaisir un jour le pouvoir. Dans le courant de 1841, une insurrection ayant renversé le général Velasco, la majeure partie des provinces boliviennes proclamèrent de nouveau le général Santa-Cruz ; les autres reconnurent le général Ballivian, son lieutenant et son ami, mais qui ne confondait pas en tous points ses intérêts avec ceux du protecteur. Le gouvernement de Lima, uniquement composé de restaurateurs, s’émut nécessairement d’une pareille révolution, accomplie si facilement. Des pouvoirs extraordinaires furent immédiatement donnés au président Gamarra, et l’armée, renforcée par de nombreuses levées, reçut l’ordre d’aller jusque sur l’extrême frontière se placer en observation. C’était polir la Bolivie une menace directe. Gamarra, non content encore de cette