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dévoués à Santa-Cruz, la lutte était loin d’être finie, les Chiliens pouvaient être repoussés ; mais en Amérique les amis prêts à se dévouer pour un chef vaincu sont plus rares que partout ailleurs. À Aréquipa comme à Lima, toutes les petites ambitions personnelles étaient déjà en mouvement ; chacun ne songeait qu’au parti qu’il pouvait tirer du changement politique qui allait s’accomplir, et la cause du pays envahi par des étrangers disparut là aussi, étouffée sous des intérêts particuliers. Le général Santa-Cruz, trahi de nouveau par ses soldats, obligé de résilier le pouvoir, et bientôt même de fuir et de se cacher, put à peine arriver sain et sauf à bord d’un bâtiment de guerre anglais, où il se réfugia (23 février 1839). Quelques jours après, le général Gamarra rentrait à Lima avec les Chiliens, et les Boliviens lui remettaient la citadelle du Callao, qu’ils occupaient encore.

Ainsi finit la confédération péru-bolivienne. Édifice trop vaste, réunion mal affermie d’états que mille rivalités divisaient, quel que fût le génie de son chef, elle ne devait pas durer, et dès le premier jour on pouvait en annoncer la ruine. Ce n’est pas seulement l’intervention chilienne qui l’a détruite, c’est la force même des choses. L’intervention du Chili n’a été redoutable que par le mécontentement des peuples de la confédération même. Santa-Cruz aurait vaincu à Yungay, qu’il aurait succombé plus tard, ou du moins son successeur aurait succombé. L’édifice ne pouvait avoir de durée, il péchait par la base. Pour réunir dans les mains d’un seul homme des pays aussi étendus, et où les rapports entre les différentes villes sont si difficiles encore, il fallait au protecteur des lieutenans intelligens et fidèles, sur lesquels il pût compter entièrement, et une marine à vapeur pour transporter rapidement ses forces et se transporter lui-même sur les points menacés. Santa-Cruz ne pouvait pas même compter sur sa marine à voile, qui, sentant son infériorité, n’osait plus sortir depuis l’apparition de la flotte chilienne. L’esprit remuant et ambitieux de ses lieutenans ne lui faisait que trop sentir d’ailleurs combien peu ils méritaient sa confiance.

Aux termes de la constitution votée au congrès de Tacna, le gouvernement protectoral devait être transporté alternativement dans chacun des différens états de la confédération ; cependant, par le fait, Santa-Cruz avait fait de Lima le siège presque permanent du protectorat. Il semblait qu’il eût besoin d’un grand théâtre, où toute l’Amérique pût le contempler, et, sous ce rapport, sans doute il ne pouvait mieux choisir ; mais au point de vue politique il commit une grande faute. Foyer perpétuel d’intrigues et de révolutions, Lima était la dernière ville où il pût espérer d’affermir son pouvoir. Toujours considéré comme un étranger par les Péruviens, Santa-Cruz froissait malgré lui