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en prendre le courage, sinon dans ma douleur ? Je souffre, je suis malade, ma vie n’est plus bonne qu’à être sacrifiée…. que mon enfant la prenne, je parlerai pour elle. C’est une pauvre créature dont vous tenez l’existence entre vos mains, ne l’écrasez pas par la rigueur de vos arrêts. Quand on est juge et maître absolu, il faut veiller à toutes ses paroles, à toutes ses actions ; il en sera demandé compte. Soyez miséricordieux, épargnez cette enfant.

M. Van Amberg s’avança vers sa femme, lui prit le bras, et, posant son autre main sur sa bouche, il lui dit :

— Taisez-vous, je le veux. Point de scènes pareilles dans ma maison, point de bruit, point de larmes. Vos enfans sont à quelques pas de vous, ne troublez pas leur sommeil. Vos domestiques sont au-dessus de vous, ne les éveillez pas. Silence ! que tout rentre dans l’ordre accoutumé. Vous n’auriez pas dû parler ; je ne devais pas vous entendre. Ne venez plus jamais, entendez-vous ? discuter avec moi les ordres que je trouve sage de donner ; c’est à moi que vos enfans doivent obéir, c’est à moi que vous devez obéir. Montez dans votre chambre, et que demain je vous retrouve ce que vous étiez hier.

M. Van Amberg avait repris son calme accoutumé. Il s’éloigna à pas lents.

— Oh ! ma fille ! s’écria Annunciata avec désespoir, je n’ai donc pu rien faire pour toi ? Que devenir, mon Dieu ! Entre elle et lui que faire ? Inflexibles tous deux !

La lampe, qui avait jusque-là faiblement éclairé cette scène de douleur, s’éteignit tout-à-fait, une profonde obscurité régna partout ; la pluie frappait les vitres au dehors, le vent grondait ; quatre heures du matin sonnaient à l’horloge de la petite maison rouge. Mme Van Amberg s’approcha d’une fenêtre qu’elle ouvrit ; insouciante de tous soins à prendre d’elle-même, elle alla chercher près de cette fenêtre l’air qui lui arrivait tout imprégné de pluie. Elle regarda, à travers la demi-obscurité des heures qui précèdent le jour, ces lieux sur lesquels si souvent ses yeux s’étaient arrêtés. Sa jeunesse, son âge mûr, toute sa vie s’était écoulée là, en face de cette prairie et de ce fleuve, sous ce ciel nuageux qui ne lui avait donné que si peu de chaleur et de soleil. Elle regardait, le cœur plus brisé que jamais ; il lui semblait avoir le pressentiment de sa fin prochaine, et elle se livrait à ce sentiment de mélancolie qui s’empare de notre être lorsque nous croyons voir ce qui nous entoure pour la dernière fois. Elle demandait aux choses la pitié que les hommes lui refusaient. Elle confiait tout bas à cette terre, à cet horizon monotone, l’enfant qu’ils avaient vu naître. Elle leur montrait ses larmes, son amour maternel, ses craintes. Elle demandait à tout ce qu’elle voyait d’aimer, de protéger Christine. Le froid devenait aigu, elle se sentit une douleur violente dans la poitrine, la